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1 mai 2009

Lost in IKEA

J'ai toujours été stupéfait par les magasins Ikéa. La philosophie de cette grande enseigne a beau avoir quelque chose de répugnant dans son but quasi-avoué de mettre les gens dans des cases sans qu'ils ne fassent trop tache à côté de ces objets rutilants, il est quand même impossible de ressortir du magasin sans avoir acheté un truc, ou, pour ma part...sans s'être perdu.
Voici le topo, pour les paysans comme moi qui ne connaissent pas par coeur de telles enseignes: le principe est fondé sur la marche: entré dans le magasin, le visiteur est happé dans un circuit qui lui fait faire le tour de tous les rayons, de tous les objets. Tous. Du lit au presse-purée, de la table aux rideaux, du bureau au parc pour enfants, de la salle de bain au garage... Puis en bas, direction la réserve, où les centaines d'objets sont à la disposition du quidam, bien rangées dans de jolis paniers, dans des étagères ou dans d'immenses entrepôts où l'on peut se servir avant d'aller à la caisse.
En l'occurrence, je cherchais des tréteaux, deux tréteaux pour le bureau d'Emilie. Je n'avais besoin de rien d'autre, à la limite je pouvais aller directement en réserve les chercher, si ce n'est le besoin d'aller vérifier avant qu'ils conviennent bien. Une fois rassuré, je descendis dans la fameuse réserve. Le principe est le même: un long serpentin entre les paniers plein d'objets tout neufs. Et c'est là, incrediblely, que je me suis perdu. Tel Thésée sans son fil, j'ai erré trois fois dans ce labyrinthe, ratant trois fois le panneau (petit et mal foutu, il faut le dire) de sortie. Il faut, de plus, mettre ça sur l'état de fatigue et d'énervement avancé dans lequel je me trouvai alors: une journée pénible de formation après avoir peu et mal dormi, près d'une heure de tram et une demi-heure de marche, la perspective alors incertaine d'avoir un poste convenable à la rentrée...
Mais enfin, j'aperçus, mon petit réveil de bureau (dont j'avais justement besoin, ben voyons) à la main, la voie de la réserve. Je pus alors récupérer mes fameux tréteaux et régler mon dû.
Tout cela a duré plus d'une heure et demie. C'est cela, le paradoxe EPR ?

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22 juillet 2009

Le slogan se meurt, le slogan est mort !

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Alors voilà,
J'étais tout à l'heure en train de nettoyer ma cafetière en faisant circuler à l'intérieur du produit pour éliminer le calcaire. Et comme cette opération, à la portée du premier Valenciennois,  ne nécessite, a priori, aucune vigilance particulière, mon regard évasif tomba par hasard sur un dépliant de la Foir'Fouille. Ce fut comme une apparition: je m'aperçus que le slogan de cette digne entreprise avait été changé. Maintenant, il s'agit de lire: "Des prix qui font plaisir !"(et comme je ne mens pas, je vous invite à vérifier par vous-même: http://www.lafoirfouille.fr), en lieu et place de l'ancien slogan, qui était pourtant digne d'un calembour saint-simonien !
Ainsi, avec la justesse d'un Bossuet et la finesse d'analyse d'un Barthes, j'ai donc décidé, en cet après-midi d'été, de faire l'éloge funèbre de l'ancien slogan de la Foir'Fouille, à la manière des célèbres Mythologies barthésiennes.
Pour ce faire, rappelons à notre lecteur inattentif (oui, il y en a, hélas...) le fameux slogan qui faisait l'objet de notre admiration:

"A la Foir'Fouille, tu trouves de tout, si t'es malin,
Il y a plein de bonnes affaires."

Donc, il convient de se demander, de manière générale, quel est le but d'un slogan: par une formule brève, jouant autant que faire se peut sur une figure de style aisément repérable (facile à analyser dans le cas présent: remarquez l'alternance entre alexandrin (trimètre, en l'occurrence) et octosyllabe), ce qui n'est pas sans rappeler la variété versificatoire d'un la Fontaine, par exemple (Fables, I, 3):

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages. (12)
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, (12)
        Tout petit prince a des ambassadeurs, (10)
Tout marquis veut avoir des pages. (8)


, un peu comme pour s'acaparer, mimétiquement, la dimension proverbiale des fables. A la limite, on pourrait presque inventer un petit apologue dans lequel le pas malin se ferait entuber en achetant cher des trucs qu'il aurait eu pour une bouchée de pain à la Foir'Fouille) il s'agit d'interpeller le lecteur en établissant une connivence entre lui et la marque. Un slogan doit parler immédiatement à un type de public, quoi. Il s'agit rarement d'un énoncé complexe, afin d'être facilement retenu par notre Valenciennois sus-nommé. Or, force est de constater la complexité de cette phrase, dans laquelle l'éventuelle actualisation du procès est mis en balance par une proposition subordonnée qui plonge le Valenciennois inférieur dans l'angoisse: on trouve de tout à la Foir'Fouille (ce qui est faux, par ailleurs), mais SEULEMENT, ET SEULEMENT SI (ssi, comme disent nos amis mathématiciens) on est malin.
Il serait assez complexe, voire même futile et inutilement vain d'établir dans cet article si passionnant un historique du mot "malin" (NB: je n'ai pas écrit "de l'adjectif", puisque ce terme peut aussi être utilisé en tant que substantif), bien que cela n'eût pas été complètement inintéressant (les plus pointilleux regarderont ) dans notre propos. Ce qui est sûr, c'est que même en n'étant pas malin, on peut faire des "bonnes affaires", comme nous le précise l'octosyllabe de la seconde partie du slogan. Et ce pour une raison très simple: la Foir'Fouille, c'est pas cher. Il reste que faire de bonnes affaires inutiles, c'est pour les nigauds, c'est pour les pas malins. Les malins, eux, savent profiter justement de ces prix ridicules pour "trouve(r) de tout".
Mais derrière cette mise en garde contre les imbéciles se cache un message politique: puisque ce qu'on trouve à la Foir'Fouille n'est pas cher, pourquoi payer la même chose cher, et ailleurs de surcroît ?! C'est vrai: Pourquoi notre Valenciennois qui cherche son miroir avec la photo de Johnny à mettre dans son salon paierait-il plus cher son sésame à Carouf' ou à Leclerc alors qu'il est moins cher à la Foir'Fouille ?!
Ben parce qu'il est malin. Et voilà.
Implicitement, le bourgeois qui cherche et qui trouve à Carouf' son miroir de Johnny, lui, n'est pas malin. Comme quoi, être riche ne rime pas nécessairement avec malice. Les bourgeois rateront leur vie alors que les gens avec des revenus plus modestes (des pauvres, quoi), s'ils sont malins, feront plein de bonnes affaires. nous arrivons finalement à une inversion des valeurs tout à fait caractéristique du climat actuel: Steinbeck nous l'avait montré, la crise rapproche les gens, soude les familles et rappelle les valeurs essentielles: la malice et les bonnes affaires.
Et ça, c'est important.

24 juin 2009

Alors, hier j'étais de réserve pour les

Alors, hier j'étais de réserve pour les surveillances. De réserve, ça veut dire que tu bouges ton c.. pour 8h, que tu viens jusqu'au lycée pour remplacer celui qui ne se sera pas levé. N'étant qu'un jeune stagiaire débutant, je n'osais croire que de méchants collègues eussent pu me faire un coup pareil et ternir la réputation exemplaire de la ponctualité enseignante par une telle félonie (mais quand même, je pris mes affaires pour travailler).
Ben si.
Je me suis fait avoir: paf, 3h de surveillance, des STG qui passaient les maths. Du coup, j'ai pris le parti de ren-ta-bi-li-ser. Adoncques je me suis calé au fond de la salle avec mon Macbook (oui, je me la pète, et alors ?) et mes descriptifs du bac français. Et j'ai tapé tous mes descriptifs, les cinquante problématiques des textes sur lesquels je vais faire plancher les petits bacheliers muets d"effroi durant la semaine prochaine. Ca donne à peu près ça:

Séquence 4 (« S’interroger sur la condition humaine par le biais du roman malrucien »), texte 5 (« fin du roman »)
Texte sélectionné : André Malraux, La Condition humaine, 1933, « Cinquante sirènes…ses bras inhumains. » (NB : extrait du roman hors programme)
Problématique retenue : En quoi ce passage montre-t-il un apaisement qui semble inclure, par delà le bien et le mal, tous les actes humains ?

Comme j'aime les choses organisées (et que non, je ne suis pas un psychorigide), tout sera prêt, j'aurai mon petit bordel, mes petits tas, mes trucs et mes machins. John a tout à fait raison: le bac ne sert plus à rien maintenant, ce n'est qu'un rituel de passage, une épreuve commune dont tout le monde pourra se rappeler plus tard. Se pointer dans un endroit inconnu, avec un prof inconnu qui va vous ramasser la tronche, flipper un un bon coup, stresser quelques jours en étant persuadé de s'être planté... Se confronter à ce qu'on croit être un vrai échec est important, dans ce parcours scolaire où il suffit de bosser un minimum pour  arriver. C'est une première confrontation, une épreuve officielle plus importante que le brevet.
Donc je prends ça au sérieux, d'autant plus que j'adore faire passer des oraux. Peut-être en serai-je dégoûté le 8, mais pour le moment il me tarde d'y être. C'est d'autant plus drôle qu'étant ami sur Facebook avec une collègue du lycée qui a une partie des élèves que je vais faire passer, j'ai pu apercevoir leur tronche. Ils font les beaux...pour le moment.
Mais rassurez-vous: je suis effroyablement désagréable pendant l'épreuve, mais très cool au niveau des notes. Et puis pouvoir dire plus tard qu'on est passé à l'oral du bac sur du Malraux, du Céline ou du Pascal, ça n'a pas de prix non ?

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24 août 2009

J-7

breveon109Eh oui, J-7 avant la rentrée, enfin, la rentrée des profs, la pré-rentrée. Les vacances se terminent doucement, même le temps commence à devenir un peu voilé, un peu triste.
Ces vacances d'été ont passé à une vitesse ! On avait prévu plein de trucs, mais on en a fait assez peu, au final, ce qui n'en fait pas pour autant de mauvaises vacances. On aura fait la fête, revu des copains, un peu voyagé, changé d'air... Le bac français que j'ai fait passer aura aussi fait partie, dans une certaine mesure, des vacances, étant donné l'ambiance dans laquelle ça s'est déroulé. Emilie a eu son concours, s'apprête à partir pour de nouvelles aventures après avoir dit bye à la pizzeria, on s'est pacsé... Ca en aura fait, du changement, en moins de deux mois ! Mes potes s'en vont, aussi, ce qui n'est pas sans m'attrister, au point de me demander si je ne ferai pas pareil l'an prochain: plus ça va, plus les gens s'expatrient, et moins j'ai de raisons de rester. Le fait qu'Emilie elle-même soit mutée sonne aussi, dans une certaine mesure, comme un signal, donne un sentiment d'urgence: peut-être est-il temps que moi aussi, je mette les voiles, on mette les voiles, ensemble ?
Ce ne serait pas loin au début. L'Aude, par exemple. Mais ce serait une sortie du cocon perpignanais qui commence à devenir franchement petit. Mais en attendant, il va falloir supporter cette année qui se profile avec des perspectives peu réjouissantes, hélas. En m'attendant au pire, je ne pourrai qu'être agréablement surpris ! Je travaille mon numéro de méchant prof, affute les sanctions que j'infligerai à ces gosses réputés tellement débiles qu'ils en seront anesthésiés... Et j'ai, un tout petit peu, pensé à ce que je leur ferai lire. C'est encore très flou pour les cinquièmes, déjà plus net pour les troisièmes (l'Attentat, Thérèse Raquin, la Machine Infernale...). On verra. J'espère que l'emploi du temps me permettra de tout concocter au fur et à mesure...
Il est clair aussi que ces semaines de célibataire ne sont pas non plus pour me déplaire. Ca me permettra de faire pas mal de trucs: du piano, du théâtre (que j'ai toujours envie de commencer), des soirées télé à la con, des restos avec les potes... N'avoir que deux niveaux facilite aussi cela: il me faudra un peu plus de temps pour peaufiner les cours, mais je le ferai plus progressivement. Il y a fort à parier que mes cours seront prêts d'ici deux ans et que je pourrai ne me préoccuper que fort tard de mes rentrées scolaires !

Mais d'ici cette rentrée, il reste une semaine qu'il me faut rentabiliser: retrouver des horaires plus normaux, acheter un minimum d'affaires scolaires (au moins cahier-classeur !), savoir quand exactement aura lieu la rentrée... Super !

28 septembre 2009

Rachmaninov, ou de l'indistinction

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Indistinction, et non inaudibilité.
J'ai profité d'uns course à faire à l'autre bout de la ville pour joindre l'utile à l'agréable et écouter un disque qui m'a été offert hier: les premier et deuxième concertos de Rachmaninov, par Zimerman, Ozaka et l'orchestre symphonique de Boston. Un disque qui a déjà quelques années, il date de 2004, pour des enregistrements faits en 1997 et 2000. Je me souviens de ce disque, dans la mesure où j'avais lu à sa parution une interview de Zymerman, qui prétendait n'être pas pour le moment capable d'enregistrer le troisième concerto, cette oeuvre l'ébranlant tellement qu'il lui serait impossible de "risquer sa vie" à chaque concert. Opinion que je partage volontiers.

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Les deux premiers, donc, que je n'avais pas eu l'occasion d'écouter sous les doigts du pianiste polonais et la baguette d'Ozawa. J'ai immédiatement compris pourquoi ce disque avait fait tant de bruit quand il était sorti. J'avoue que j'avais un peu peur d'écouter une version solaire, défaut que j'ai souvent retrouvé en écoutant ces concertos: la partie piano nécessitant une telle virtuosité, il est à craindre que l'interprète ne la mette en valeur au détriment de l'oeuvre, oubliant ainsi ce qui fait la caractéristique de Rachmaninov dans ses quatre concertos, ce que j'appelle l'indistinction.
Or, que nenni. Bien que le jeu de Zymerman soit toujours aussi magistral et d'une incroyable justesse, le pianiste n'est pas dans une démarche de virtuosité à tout prix: le jeu est au service de l'oeuvre, le piano respecte la dynamique que Rachmaninov voulait, semble-t-il, conférer à sa partition. Du ppp au fff, toutes les nuances sont restituées, malgré un orchestre que j'ai parfois trouvé un peu trop présent, trop envahissant. J'oserais croire que le symphonique berlinois dirigé par Gergiev eussent constitué un choix plus judicieux. Mais je chipote: ces interprétations restent de très haute tenue et justifient complètement les nombreuses distinctions reçues lors de sa parution.

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29 septembre 2009

C'est la guerre

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Ca y est, la guerre est déclarée. Les p'tits fumiers veulent jouer au con, ils ne réalisent pas à qui ils ont affaire: j'adore ça, jouer au con, et je vais les plier en quatre.
Hier, pendant mon cours de cinquième 3, j'étais en train d'écrire un mot au tableau quand j'ai vu, à un mètre sur ma gauche et au raz du sol, un bout de gomme taper tranquillement le mur. Je me suis retourné. Evidemment, personne, et impossible d'accuser sans être sûr. Ca c'est une première, ils avaient jamais osé faire ça, d'autant plus que je ne suis pas certain que ce projectile m'était destiné. Je dirais même que j'en doute. Ca ne change rien, j'en conviens.

Il reste que, furieux, j'ai expliqué que je ne noterai plus rien au tableau puisqu'ils étaient incapables de se tenir correctement, et que j'ai passé le reste de l'heure à dicter. Pour demain, je leur ai préparé un contrôle-surprise pour qu'ils se viandent, et durant lequel je relèverai quelques cahiers... Je pensais avoir installé un calme relatif dans ce zoo, mais je m'aperçois que j'en suis encore loin de les tenir. Par conséquent je vais serrer la vis, quitte à me mettre la classe à dos. Diviser pour mieux régner: à force de s'entendre dire qu'ils n'ont qu'à s'en prendre aux fouteurs de merde, j'ose espérer que ça fera son effet.
Avec un peu de chance, je vais presque y prendre goût ! Finalement ce n'est pas si mal que ça: sur quatre classes, deux troisièmes convenables et une cinquième excellente, le ratio n'est pas si terrible !

18 octobre 2009

Réunion parents-profs

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Vendredi soir, au rapport: première réunion parents-profs de l'année, et en l'occurrence de ma carrière. J'avais en effet loupé celle de l'an dernier, faute d'avoir été prévenu...
Ca a un petit côté confessionnal ces réunions: deux profs par salle, les parents qui défilent pour discuter de leur progéniture, jusqu'à épuisement des dits-parents. Dans mon collège c'est la classe: j'avais reçu un emploi du temps de ceux qui venaient. Cinq minutes par tête, j'en avais jusqu'à sept heures et demie. Et de fait, je n'ai pas dépassé.
J'étais un peu anxieux à l'idée d'affronter les parents, tellement on a tendance, nous autres enseignants, à se liguer contre la connerie parentale qui devient, hélas, de plus en plus proverbiale. Dans cette génération ludique, on voit de plus en plus le Parent, désireux de s'attirer l'amour de son enfant en se mettant à son niveau, rendre l'enseignant responsable de tous les problèmes de leur adulescent chéri. C'est logique, et la majorité des enseignants sont d'accords: il est plus facile de brosser dans le sens du poil que de pousser une gueulante, les profs sont là pour ça après tout.



C'est donc dans cet état d'esprit que je préparais mes deux tables contiguës avec mon carnet de bord, mes notes et tout et tout. Je m'attendais à me prendre quelques claques dans la gueule, claques d'autant mieux envoyées qu'elles s'adressent à un jeune enseignant.
Mais tout s'est bien passé. Sur la vingtaine de parents que j'ai reçus, une majorité était accompagnée de leur enfant (comme je l'avais souhaité), à peu près tous m'ont donné une impression, vraie ou simulée, de solidarité et d'écoute. De mon côté, à l'instar de Rousseau, j'ai dit le bien et le mal avec la même franchise, même si cela devait occasionner un regard un peu surpris chez le parent qui entendait les frasques de leur progéniture, laquelle manifestait alors un intérêt subit et inextinguible pour le carrelage de la salle. Mais aucune contestation, aucune réclamation ou remarque concernant mon boulot ou mes choix pédagogiques que je ne cachais pas, par ailleurs: "telle ou telle attitude ne m'a pas convenu, j'ai donc fait le choix de donner telle ou telle sanction." Rester clair, poli, bienveillant et concis.
Un début encourageant, donc. Comme on me l'avait dit, pas mal de parents que j'aurais vraiment aimé voir ne sont pas venus, et beaucoup sont venus s'entendre dire que tout allait bien, ce qui est de bonne guerre.
Espérons que ça se passe aussi bien la semaine prochaine: les parents de mes troisièmes !
 

14 juillet 2009

Ôde à celui qui ramassa sa mère.

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Parfaitement.
Mais je m'explique.
En ce moment, la chaleur est caniculaire. Horrible. Du coup, en tant que bon homme du froid, je m'enferme sous le ventilo tous les après-midi pour lire/dormir afin de supporter ces rayons ardents pourtant si recherchés par la masse graisseuse des touristes venus en masse pour se faire griller l'anatomie dénudée. Je ne comprendrai jamais. Et en plus ils parlent de vacances.
Soit.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je reçus un coup de fil du directeur du lycée dans lequel j'avais fait passer les oraux du bac français la semaine passée.
"- Allo, M. Jules ? Ici M. Machin, le directeur du lycée Truc.
- Mmmmmmh, oui, bonjour"
Mais derrière ce "Mmmmmmh, oui, bonjour" se tapissait toute ma perplexité. Passant en revue toute la session, je me demandais à toute vitesse ce que j'avais bien pu faire qui justifiait un coup de fil de cet éminent collègue: quelle paperasse avais-je pu oublier de signer, quelle bourde avais-je bien pu commettre... Pourtant, j'avais fait super attention !
" - Je m'excuse de vous déranger pendant vos vacances (tu parles, ndlr), mais j'ai un petit souci avec une maman d'élève (aïe, là mon gars t'es pas dans la merde, si la mother a quitté son aire pour défendre son oisillon, t'y es pour la journée, re-ndlr) qui soutient avoir déposé son fils devant le lycée, et qui a pourtant été déclaré absent à son oral.
- ... Pourtant, je n'ai eu aucun absent parmi mes candidats...
- Oui, bien sûr, mais cet élève devait passer avec une enseignant, et il prétend que c'est un enseignant qui l'aurait auditionné (paye ton lapsus, ndlr) en arguant du fait qu'il transmettrait ensuite les notes à l'enseignante en question. N'auriez-vous pas fait passer un élève supplémentaire pour soulager une collègue ? (non mais vas-y, prends moi pour un con toi, ndlr)
- Non. Nous étions quatre enseignants, et nous connaissant, il me semble qu'aucun de nous n'aurait eu la stupidité de faire une bourde pareille. (et paf, mais ça je l'ai pas dit, ça aurait cassé la magistralité de ma phrase).
- Oui... bien sûr, je le crois aussi, mais je voulais vérifier avant de traiter quelqu'un de menteur."
Et sur de brèves politesses, nous raccrochâmes, et je pus retourner, plein de perplexité quant à la nature humaine, à ma sieste.

Qu'un élève n'ait pas bossé, ça arrive. Quelques-uns se sont même présentés en me disant que ce roman il était nul, qu'ils avaient fait l'impasse dessus etc... Que ce même élève soit mort de trouille, je peux l'entendre, le bac français c'est une première !
A la limite, qu'il fasse péter son épreuve... C'est stupide, mais ça peut s'expliquer. Un perfectionniste surdoué (non, précoce, surdoué c'est connoté tête d'ampoule nowadays) et dislexique (forcément), en mal d'amour qui lance un courageux appel au secours en jouant au baby le jour de son bac français, ça arrive ! Mais monter un bobard pareil, non : ma déontologie ne peut supporter un tel affront, surtout après le stress administratif qu'impose une telle épreuve. En effet, chaque candidat est numéroté, on doit remplir une chiée de paperasses, signer des trucs, faire signer des papiers aux candidats, rentrer les notes sur Internet en faisant bien gaffe de ne pas inverser deux élèves... C'est du stress, mine de rien. En tout cas, pour une première, ça m'a un peu stressé.
Alors, pour notre cher précoce en mal de tendresse, de deux choses l'une:
- soit la mère poule l'a défendu bec et ongles, et est repartie furieuse, maudissant cette engeance professorale maudite qui a ôôôsé accuser son petit bambin si fragils, malgré ses évidentes capacités.
- soit la mother a compris que son gosse était un petit branleur mytho, et a demandé au father d'avoir une discussion entre hommes avec le rejeton. Ce que je souhaite.
D'où cette émouvante ôde à celui qui ramassa sa mère.

10 novembre 2009

Une nouvelle moto !

Ca s'est passé comme ça finalement: l'impression que je commençais à faire le tour de ma bécane, la certitude de la connaître par cœur, le fait qu'elle commence à prendre de l'âge et que je suis assez incompétent au niveau de la mécanique moto, un collègue qui me titillait avec son 1000... Je me souvenais aussi des sensations que j'avais eues à l'époque sur ma feu GSE 500 (que j'avais adorée):


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J'ai donc décidé de 1/me fixer un budget; puis 2/une architecture de moteur (sur une moto c'est primordial: une même cylindrée avec deux types de moteur différents ne donneront pas du tout la même machine). Après avoir choisi un bon compromis, j'ai pas mal lu un excellent forum consacré à cette bécane, et finalement écumé toutes les annonces avant de trouver la moto qu'il me fallait: un Yamaha Fazer 600, de 1999, totalisant 45000 bornes, en vente pour 2200 euros.
Parfait.
C'est ainsi que samedi dernier j'ai pris possession de la bête. Elle était un peu loin de chez moi, 250 kilomètres quand même: un bon test, me disais-je, avant de voir le temps qui commençait à devenir franchement grisâtre. A que cela ne tienne, j'ai quand même fait le pas.
J'avais un peu peur de tomber sur une mauvaise occasion: le sort (et mon opiniâtreté, je crois) m'ont permis de trouver un vendeur à la fois sympa et soigneux avec sa bécane. C'est simple: à dix ans, cette moto paraît neuve. Et quel bruit, bordel. Une symphonie pour quatre cylindres. une fois les paperasses faites, les pièces embarquées dans la voiture (car le gars, pas chien, m'a donné le pot d'origine, les clignos d'origine et un bagster !), j'ai enfourché ma nouvelle monture pour le retour à Perpignan.
Maintenant, après environ quatre-cent bornes, je peux commencer à me faire une idée: bon dieu, ça pousse. Dur et violent: passé 5000 tours, ça part vite et bien. Je ne suis monté qu'à 160, pour voir, et j'en avais encore beaucoup sous la poignée. Près de cent chevaux, il va falloir les tenir.
Mais, et surtout, quelle précision ! Une fois placée sur l'angle, elle ne bouge pas, elle ne sort pas de son rail, elle est précise et carrée. Je dois faire attention à son poids par rapport à la précédente, mais franchement je redécouvre la moto: plus puissante, plus précise, plus joueuse, elle freine mieux... Même avec un passager, elle envoie toujours autant, alors que le Djebel avait un peu plus de mal.
Maintenant, il me reste à en prendre soin. Je vais certainement tout faire faire chez Yamaha pour ne pas avoir d'emmerde, surtout sur des moteurs un peu pointus comme ça. Mais en attendant, c'est le pied. Vivement les ballades !

Quelques photos, quand même:

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22 mai 2010

Jorge Luis Borges

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Suite à une discussion de plus -ou de trop, sur ce sujet- avec mon copain François lors des apéros du vendredi, je me suis replongé dans Borges. Jorge Luis Borges, l'un des auteurs qu'il faut à tout prix avoir lu dans sa vie. Ses nouvelles sont, il faut bien le dire, difficile à suivre. Elles n'ont pas la fluidité et la concision des romanciers américains, elles sont bourrées de références assez sibyllines pour moi, qui n'ai pas une connaissance très pointue des textes théologiques, ce qui donne parfois la désagréable impression de passer à côté de plein de choses essentielles. Sur les Fictions et le Livre de sable, qu e j'ai relu pour l'un et découvert pour l'autre, force est d'avouer qu'il n'y a que trois nouvelles qui m'aient vraiment marqué: La Bibliothèque de Babel, qui ouvre des perspectives vertigineuses sur le problème de l'écriture littéraire; Funes ou la mémoire, dans laquelle un homme devenu paralysé après avoir été frappé par la foudre se retrouve doté d'une mémoire infinie qui lui permet de se rappeler éternellement de chaque détail entrevu à chaque instant, image à mon sens d'une vie en cage, paradigmatique, qui ne peut se développer; enfin le livre de sable, livre qui n'a ni début ni fin, et dont on ne peut retrouver la page que l'on a lue précédemment (il me souvient que Glenn Gould disait la même chose au sujet des variations Goldberg: elles n'ont ni début ni fin, expression paradoxale s'il en est): « Le nombre de pages de ce livre est exactement infini. Aucune n'est la première, aucune n'est la dernière. »

 

Borges est mort en 1986, et en lisant un petit livre de discussions/interviews/conférences de lui, j'aurais aimé savoir ce qu'il qu'il aurait pensé du phénomène Internet, s'il l'avait connu dans son expansion actuelle. Existe-t-il une bibliothèque de Babel plus inextricable que ce labyrinthe de blogs, de liens, de textes, d'endroit où la notion d'auteur soit la plus bafouée ? Je ne suis pas loin de considérer cette nouvelle comme l'une des plus visionnaires qui soit, dans la mesure où elle est représentative d'une double schizophrénie de l'identification et de la perte d'identité. Successivement soumis au règne de l’identification, du réseau, de la reconnaissance ; et en même temps détenteur d’une liberté intellectuelle qui n’a jamais été aussi puissante et absolue, il semble que les notions d’auteur et de lecteur tendent à se déliter, à se diluer de plus en plus. A en croire la profusion d’études actuelles sur le thème du plagiat. De la même manière que Borges considérait ses œuvres comme du sable sans importance.
Un bon sujet de discussion pour cet été entre happy fews.
 

 

9 juillet 2010

Le complexe du bon élève

TEOMAN_Seyfi_2008_Summer_book_1Certes, du haut de mes deux ans d'enseignement je n'ai pas encore une expérience bien épaisse des arcanes de l'éducation nationale, peut-être ces lacunes seront-elles (et je l'espère !) un jour comblées, mais je commence à avoir au compteur un petit nombre de réunions "pédagogiques" de tout poil: conseils de classe, réunions de fin d'année, commissions d'harmonisation de bac, réunions de récupération de copies d'examens, pré-rentrées... Et j'avoue être systématiquement abasourdi par l'infantilisation des enseignants. C'en est quasi-symptômatique. C'est ce que j'appelle, à part moi et quelques happy fews dont vous, lecteur, me faites le plaisir de lire (et de discuter !) cet avis, le complexe du bon élève.
Car soyons clair: un enseignant, dans la majorité des cas, est quelqu'un qui n'a jamais quitté l'école, c'est souvent celui qui est passé directement de l'école au collège, puis au lycée, puis à la fac et enfin par l'IUFM avant de se retrouver (enfin...) de l'autre côté du bureau, du "bon" côté. Les collègues avec lesquels j'éprouve le plus de plaisir à travailler sont ceux qui sont devenus profs "par hasard" et non ceux qui parlent de "vocation" ("j'ai toujours voulu être enseignant(e)")
De sorte qu'il est amusant (tout dépend, cela dit, du côté de la lorgnette, personnellement je trouve ça très inquiétant) de constater la faculté de ces gens à redevenir des élèves, dans le mauvais sens du terme, des élèves agaçants: chipotant des heures pour le moindre détail, perdant toute notion de bon sens, tout esprit de synthèse, jouant le jeu de la culpabilisation et de la récompense paternelle ("je sais bien que personne ne l'a dit et que ce n'est pas obligatoire, mais je vais quand même (après 5h de correction du brevet, sous un soleil de plomb, un premier Juillet, ndlr) retourner au collège voir si on n'a pas besoin de moi"), basculant dans la démagogie (je me suis quand même fait traiter de "facho" après avoir dit que j'exigeais que mes élèves récupèrent systématiquement le cours après une absence), à la recherche d'une autorité bienveillante ("je vous assure que l'inspecteur était joignable sur son mobile, il m'a répondu à cha-que-fois !") et devenant de plus en plus odieux à force de ne pas la trouver (ce qui est normal: le principe de l'EN c'est qu'il n'y a, statutairement, pas de supérieur hiérarchique, le CPE ou le directeur n'ayant finalement qu'une marge de manoeuvre assez mince sur les décisions des enseignants).

En clair, ce que les inspecteurs et rapports appellent "l'appréciation des enseignants" semble finalement les angoisser plus qu'autre chose ("dis, tu étudies quoi avec les tiens, toi ? On pourrait travailler ensemble? Hein ?"), ces gens qui sont le plus souvent des personnes brillantes, intelligentes, sympathiques et agréables dès qu'on les sort de leur carcan institutionnel. J'en suis venu à fuir comme la peste tous ces endroits où les profs se retrouvent, passant d'ailleurs pour un misanthrope.

Cela fait écho, d'ailleurs, à mes propres motivations. Ce dont je me souviens le plus, dans mon parcours scolaire, ce n'est pas d'avoir été un "bon élève" (si tant est que cette expression ait un sens) avec de bons résultats. J'étais plutôt dans la moyenne. La bonne moyenne, certes, mais sans jamais casser des briques non plus. Mais un aspect très net qui me revient, c'est le malaise devant l'autorité stupide et un problème avec la notion de règles. J'ai toujours du mal avec tout ce qui relève de la perte de bon sens au profit du sacro-saint règlement, avec ce qui tend à calibrer plutôt qu'à faire passer les plus élémentaires notions de savoir-vivre, avec tout ce qui tend à la pensée unique, à l'uniformisation des gens... et entendre des adultes déblatérer une demi-heure sur la présentation du ticket de renvoi de cours ou la démarche à adopter pour le rattrapage du cours par un élève absent, ça me donne l'impression d'être dans une cour de récréation plutôt qu'à une réunion entre adultes. C'en est angoissant. 
Et en y repensant encore, je comprends un peu mieux pourquoi mon année de stage fut, avec ma tutrice, une année de conflits terribles: elle était une excellente élève, pour qui le respect de la forme prévalait sur le contenu. S'entendre dire que je n'hésitais pas à changer toute l'orientation de mon cours ou mon interprétation d'un texte en fonction de la réaction des élèves lui était, et je le pense vraiment, inconcevable, lui posait vraiment problème, à elle qui calibrait toutes ses séances et que le carcan de la structure rassurait. Le cadre, pour moi, est indispensable (impossible de penser sans structure), mais ne doit jamais devenir une entrave à la pensée (que de belles méthodes sans contenus !); tandis que pour elle il s'agissait de toujours tout structurer, quitte à perdre de la matière ou à ce que les élèves décrochent. Qui a tort ? Qui a raison ? Sûrement un peu des deux, comme tous les problèmes relationnels.


Donc, pour ceux d'entre vous qui n'êtes pas du tout dans le milieu de l'enseignement, ne fantasmez plus sur ce qui se dit dans les réunions de profs une fois les portes closes. C'est, le plus souvent, ubuesque.

 

20 octobre 2009

Sujet de dictée

alain

"Dès qu'un homme cherche le bonheur, il est condamné à ne pas le trouver, et il n'y a point de mystère là-dedans. Le bonheur n'est pas comme cet objet en vitrine, que vous pouvez choisir, payer, emporter ; si vous l'avez bien regardé, il sera bleu ou rouge chez vous comme dans la vitrine. Tandis que le bonheur n'est bonheur que quand vous le tenez ; si vous le cherchez dans le monde, hors de vous-même, jamais rien n'aura l'aspect du bonheur. En somme on ne peut ni raisonner ni prévoir au sujet du bonheur ; il faut l'avoir maintenant. Quand il paraît être dans l'avenir, songez-y bien, c'est que vous l'avez déjà. Espérer c'est être heureux."

Propos sur le bonheur "Victoires" - 18 mars 1911 - Alain

12 juillet 2010

Alain Robbe-Grillet, la Jalousie

9782707300546Dans le but d'éviter à tout prix l'encrassage cérébral, j'ai décidé de repasser, en 2011, l'Agrégation. Non dans l'espoir de l'avoir, je me fais peu d'illusions à ce sujet, mes lacunes ajoutées au manque de temps me rendant quasi hors-jeu auprès des Normaliens et autres bêtes à concours sorbonnagres, mais pour me replonger dans des programmes et des sujets quelque peu stimulants. Histoire que les rédactions de mes collégiens ne deviennent pas mes seules lectures scolaires...
Et donc, entre autres, j'ai au programme Les Gommes et La Jalousie, d'Alain Robbe-Grillet. J'évoquerai le premier un peu plus tard, c'est La Jalousie qui m'intéresse, là maintenant. Je l'avais lu il y a quelques années pour en garder le souvenir d'un livre assez chiant, pour ainsi dire. Peu d'histoire, une narration assez pesante, une trame trop minimale...Je ne me rappelle même plus l'avoir fini, en fait. C'est donc avec un soupir de résignation que je l'ai remis sur mon bureau.
Ce mouvement que la critique appelle "Nouveau Roman" trouve dans ce petit récit se situant dans une plantation, probablement en Afrique (oui, petit, à peine 220 pages, dans mon souvenir il faisait au moins le double) un exemple canonique: nous sommes dans la conscience d'un narrateur qui n'est jamais présenté, qui ne parle jamais en son nom, présent mais à qui personne ne parle, doué d'une présente absence de telle sorte que l'on finirait presque par oublier que tout le récit est décrit à travers son regard, si ce n'était les infimes détails qui rappellent tout de même qu'il est là et qu'il observe, comme derrière des jalousies (terme récurrent dans le roman, on doit en trouver une bonne vingtaine d'occurrences). 
Qu'observe t-il ? Sa femme, ou celle qu'on suppose être sa compagne, une jeune femme désignée sous le nom de A..., dont le narrateur observe le comportement sans porter de jugement dessus. La manière dont elle est décrite nous fait peu à peu comprendre qu'elle est vue à travers l'esprit d'un malade. Sous couvert d'une description de détails tellement minutieuse qu'elle en devient lassante, l'auteur accomplit le tour de force de nous faire oublier qu'on reste, du début à la fin, prisonnier d'une focalisation interne distordue, déformée, s'attachant aux détails non par souci de "réalisme" ce qui aurait dû être pris en charge par un point de vue détaché, mais pour souligner justement le fait que nous sommes dans une vision partiale et déformée des évènements. N'est-ce pas le propre d'une jalousie délirante, que de ne pas se remettre en question et d'interpréter tous le événements à l'aune de cette jalousie ?

A partir de là, le lecteur ne sais plus quoi penser des rapports profonds et très ambigus entretenus par A... et un voisin, Franck, qui vient quasiment tous les soirs manger avec elle (avec eux, en fait, mais dans la mesure où le narrateur/personnage n'intervient jamais dans la conversation, on ne s'aperçoit de sa présence que par le fait, leitmotiv récurrent, que le boy met systématiquement "trois couverts") pour discuter et probablement tenter de la séduire. C'est du moins ce que l'on ressent à travers le miroir déformant du narrateur promené le long du roman. Ce miroir devient si présent que l'on en vient à perdre le fil de l'histoire elle-même: les épisodes s'enchaînent selon une logique qui n'est pas chronologique, on finit par ne plus distinguer ce qui ressort de la "réalité" de ce qui appartient aux fantasmes du personnage (l'accident de Franck, entre autres), les événements se répètent, se modifient au fur et à mesure que le roman avance et se termine.
L'expression de Nouveau Roman devient un peu moins nébuleuse qu'elle l'était auparavant. Sans être une révolution, les procédés adoptés par Robbe-Grillet sont originaux et merveilleusement pertinents dans le cadre d'un bouquin sur la jalousie.
Un livre bien plus intéressant qu'il m'avait paru de prime abord. Ca tombe bien, je vais devoir le digérer plusieurs mois ! 

22 avril 2011

Marivaudage ronaldien

marivaux

Elle était chatain clair, serrée dans une robe noire ridiculement courte et incongrue par ce temps frais et humide qui couvrait le trou de balle du monde dans lequel se situe mon collège, elle était très maquillée,  bien qu'à la réflexion ce maquillage ne l'enlaidissait pas comme c'est si souvent le cas chez les jeunes femmes, elle était un peu forte sans pour autant être ce qu'on appelle aujourd'hui "ronde", elle avait des yeux bleus en amande et de jolies dents qui laissent deviner la femme qui sait ce qu'elle veut et quelle pomme mordre. Un piercing à la langue, aussi. Elle venait probablement manger dans ce Mc Do avec ses collègues de boulot parce qu'elle n'avaient pas eu le choix, prises par un horaire trop contraignant, car jamais elle ne se serait laissée traîner spontanément dans un de ces fast-foods merdiques.

Elle doit avoir dans les trente ans. Entre 27 et 30, j'aurais dit. Elle a pris une salade qu'elle mangeait lentement, tout en discutant avec ses collègues. Une voix cristalline, assez désagréable d'ailleurs. Peut-être est-ce dû au fait qu'elle était en train de parler en mal de quelqu'un d'absent. Je n'ai pas pu distinguer ce qu'elle disait, mais l'exclamation "quelle connasse !", qui s'est échappée de la bouche d'une de ses congénères, ainsi que le sourire indescriptible qu'elle affichait en parlant prouvait bien qu'elle ne pouvait pas ne pas parler d'autre chose. D'ailleurs, je me demande si je l'aurais remarquée si elle avait été en train de parler de quelque chose de banal, de ce qu'elle ferait ce week-end par exemple. Finalement, le fait de faire quelque chose de mal l'associait au mal, ou au péché, et la rendait de fait terriblement attirante, donnait envie de pécher. 

Quelqu'un de très antipathique, en somme, et d'ailleurs le genre de femme médisante, vulgaire et superficielle qui ne me plaît pas du tout. Mais là, hier midi en mangeant mon Big Mac avec mes collègues, j'ai vécu une expérience telle que je n'en avais pas eue depuis longtemps. Rien de vulgaire ou de malveillant, je vous l'assure. Le plaisir d'observer quelqu'un dans son naturel sans être aperçu et de pouvoir en parler, du mauvais Marivaux en somme. C'est dans les premières lettres du journal du philosophe, je crois, que le narrateur raconte avoir surpris sa petit amie en train de faire des mimiques devant un miroir. Tellement déçu de constater que ces moues charmantes n'étaient pas dûes au naturel mais à un savant travail d'actrice, il la quitta.
Donc hier, au Mac Do, se trouvait une délicieuse inclination au péché. Dici.

4 mai 2011

Si va piano, va sano

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A la base, j'avais prévu d'acheter un appartement, de me trouver un petit nid à rentabiliser. Mettre de côté, comme on dit. Mais au final, les visites et les mois passant, j'ai laissé tomber l'affaire et quitte à faire un acte symbolique, au lieu de lancer un trait ailleurs je me suis ancré encore plus ici en louant un piano. L'utile échangé contre l'agréable, pourrait-on dire. Ca faisait un moment que l'idée me trottait dans la tête, et comme d'habitude il me manquait le coup de pouce du domino, la première impulsion qui allait lancer la machine. C’est au magasin que je me suis lancé et que j’ai dit à mon Maître que j’aimerais, enfin, louer un de ses instruments parce que j’en avais marre de mon Clavinova. Avec un sourire il m’a fait entrer dans sa caverne. « Je vous laisse les regarder », m’a t-il dit avec un sourire avant de disparaître avec sa discrétion habituelle. Ce type est un fantôme, ce qui justifierait certainement cette curieuse synesthésie. Les regarder, ben voyons.

La salle d’exposition du magasin tient à la fois de l’atelier, de la salle d’essai, de travail… Imaginez une grande pièce assez sombre, mal éclairée par quelques mauvais néons, un peu cradouille, monstrueusement poussiéreuse, avec une trentaine de pianos droits qui attendent là qu’un musicien veuille bien les emporter. Je dois l’avouer : j’étais un peu gêné, presque honteux à cause de ce silence et de la lourdeur de l’ambiance. Puis après avoir fait une fois ou deux le tour de la pièce comme pour instinctivement prendre possession, je pris mon courage et mes deux partitions (la Seconde Invention, l’adagio du Concerto Italien), m’installai sur le premier piano et commençai à jouer après quelques gammes. Tous je les essayai, même ceux qui étaient bien trop chers pour mon budget ou trop gros pour mon appartement. Pour une fois que j’avais un bon choix d’instruments à ma disposition, il s’agissait d’en profiter. Ce n’est pas une chose simple que d’essayer un instrument. Il faut se mettre à sa portée, sentir la manière dont il réagit, ses sonorités, ce qu’il peut ou non nous donner. C’est une démarche d’humilité, finalement, que de repenser aux doigts qui ont efleuré ces touches avant nous, aux centaines d’heures de travail qui ont jalonné le clavier, aux obscures raisons qui ont finalement amené ce piano ici. Un héritage encombrant ? Un déménagement trop complexe ? Un dégoût de la musique ? Ou au contraire le désir de passer sur un instrument plus conséquent ? Autant de renseignements que nous ne saurons jamais vraiment, mais qui constituent une armature conditionnant l’accueil qu’il nous fait. Et à chaque fois, il s’agit de l’écouter autant que de se jouer de lui.
Par chance, je savais à peu près bien ce que je voulais. J’ai donc exclu d’office ceux dont la sonorité me déplaisait. Pour jouer mon répertoire, j’en voulais un qui ait une sonorité cristalline, qui soit assez nerveux avec une réponse directe, facile à doser, et non une caisse de résonance qui aurait donné un caractère sombre à n’importe quel morceau. Je sortais aussi de mon panel ceux dont le prix et le gabarit étaient rédhibitoires. Adieu Pleyel, Gaveau, Bechstein… Il en restait cinq, et tous les cinq je les ai essayés, re-essayés, avant de me fixer sur deux.

Une pause et une heure de jeu après, j’avais fait mon choix. Un petit piano droit, d’une marque inconnue, d’une trentaine d’années, avec une attaque et une réponse qui me correspondaient, à un pris de location raisonnable. Je retournai donc chercher mon Eaque pour lui signifier mon choix. La machine était lancée.
Un mois après, les déménageurs le déposaient dans mon salon. Il faut dire qu’il fait un peu tache, lui marron dans un mobilier essentiellement noir et blanc, mais cela m’importe peu. Il est bien éclairé, dans une pièce assez grande, je peux jouer la fenêtre ouverte les après-midis, les voisins ne sont pas trop incommodés par son bruit, et il y a une sourdine pour les exercices d’insomnie. Bien sûr, il m’aura fallu quelques heures pour que l’on s’apprivoise, et même maintenant je continue à faire quelques ratés au niveau de l’appui des notes, ratés qu’il ne me pardonne pas. Certes, il y a ce si qui sonne mal, et le mi et le fa qui ne reviennent pas une fois sur trois. Mais maintenant, quand je joue, j’ai l’impression de faire corps avec mon instrument, d’en jouer, même à un niveau aussi modeste que le mien ; et non plus de taper sur des touches qui me renvoient un son comme c’était le cas avec mon premier clavier. C’est une question d’ensemble, de cohérence.

Et il me faut encore un petit moment pour lui faire donner toute sa mesure, pour commencer à jouer, à appuyer vraiment sur les touches, à chanter avec lui.

Et ça, tout comme voir mes potes qui jouent avec quand ils viennent, à la fois amusés ou intimidés (il faudrait d’ailleurs dresser un portrait de l’ami en pianiste), ça n’a pas de prix.

21 février 2012

Vider la corbeille ?

Sans entrer dans les poncifs sur les vilaines ondes ou la société de consommation, il faut avouer que ces nouveaux téléphones, c'est le bien. Je me rappelle de mon premier téléphone, c'était un Sony Ericsson, avec une petite antenne, un écran LCD ridicule et la molette sur le côté pour faire défiler les différents curseurs. Je ne l'ai pas retrouvé sur le net, mais il ressemblait approximativement à ça:

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J'ai dû le garder trois ou quatre ans avant de le casser accidentellement, une durée de vie que nos téléphones n'atteignent quasiment plus, désormais.
Maintenant, j'ai toujours un Sony Ericsson, une machine de guerre que j'ai mis plusieurs mois à apprivoiser. Et il faut avouer, c'est magique: il me sert de boite mail, d'appareil photo, de clé USB et accessoirement de téléphone. En clair, c'est un ordinateur, qui a remplacé le carnet moleskine des anciens temps. Pourquoi sortir mon appareil photo ? Mon portable fait des clichés/films de meilleure qualité. Et au lieu de noter des souvenirs, je photographie et je retiens, j'envoie parfois un MMS au lieu d'une carte postale. Un truc marrant ? Emouvant ? Un renseignement ? Le portrait d'un/e ami/e ? Hop, tout est intégré avec tant de facilité que l'on oublie tout ce que l'on peut stocker. J'ai été surpris de voir ce matin pas moins de 643 photos sur la carte de mon téléphone. Calculons un peu: j'ai récupéré ce téléphone le 22 novembre 2010, on est le 22 février 2012, à peu de choses près, soit 15 mois, soit environ 450 jours. Soit 1,4 photos par jour depuis que j'ai cet appareil. En clair, j'avais sous les yeux le journal de près d'un an et demi de ma vie, sous différentes formes, avec plein de sujets différents. Quelques perles:
 - la bouteille de Limoncello que j'ai vidée un soir de Novembre au téléphone avec quelqu'un de (déjà) très spécial
 - l'imitation de Michel Onfray par John
 - ma copine Sophie qui met un doigt au mannequin homme des Galeries Lafayette de Paris
 - la SV 650 que j'ai essayée un soir de Novembre
 - les moultes photos de mon filleul et ma filleule, au fur et à mesure qu'ils grandissent, les bougres
 - Jules triomphant dans le taudis que j'étais en train de visiter
 ...
Et ce matin, j'ai choisi de sauvegarder tout ça sur une clé, et de tout effacer pour reprendre les choses à zéro. Pour libérer de la place sur mon téléphone, qui commençait à ramer sévère; pour ne plus risquer qu'un accident quelconque me fasse perdre tous ces dossiers, et dieu sait qu'il y en a. Aussi parce que j'ai envie d'avancer, de commencer plein de choses sans pour autant en abandonner certaines. J'ai une tendance au culte des souvenirs qui parfois me gêne un peu. C'est ainsi que mon appartement est truffé de souvenirs et de photos en tous genres. Comme un besoin de garder auprès de moi ces moments, ces gens qui me sont chers. Ils m'entourent et me rassurent. Je jette parfois, quand je veux oublier ou quand les souvenirs ne m'intègrent plus, sont reconnus comme étrangers à ce que je suis devenu. Ce serait une bonne idée de blog, ça: les objets que l'on aime. Il y a celui de ce photographe qui demande à ses modèles de rassembler les objets qui lui sont chers sur un cadre. Je ne le retrouve pas, hélas.
Enfin. En un clic, stocker, matériellement, quinze mois de souvenirs, ça fait bizarre, mais ça fait du bien en même temps. Comme pour rappeler qu'aujourd'hui est le premier jour du reste de ma vie.
Et ça c'est cool. So I clicked

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13 décembre 2012

Bol d'air

IMAG0604Nous passons notre vie de boite en boite. Du cocon intra-utérin au berceau, du berceau à la salle de classe en passant par le parc, de la salle de cours aux bancs de l'université jusqu'au monde du travail dans telle ou telle boite. Boite de jour, boite de nuit, boite à gants, boîte de conserve... En fait, et cela n'est probablement qu'une obsession personnelle, nous cherchons toute notre vie un endroit où se blottir. Nostalgie du ventre maternel ? Désir de tombe ? Réminiscence de nos instincts guerriers et protecteurs ? Sans doute un peu tout à la fois. Mais on retombe, je crois, dans ce paradigme de stabilité, qui nous pousse aussi à regarder d'un oeil mi-accusateur, mi-envieux; et sans doute accusateur car envieux ceux qui ont eu le courage d'éclater leur boite, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. On connaît tous une ou plusieurs personnes qui ont un jour tout fait péter et se sont barré, simplement. Faire le tour du monde, avec le strict minimum. Une carte bleue aléatoire, quelques numéros sûrs, et voilà. L'idée me traverse de temps en temps, bien que je me sente dénué de cet extrême courage (ou de cette lâcheté extrême, c'est selon).

Mais de fil en aiguille, je me suis complètement égaré dans ce que je voulais raconter. Un soir de la semaine passée, je me suis assis à mon bureau pour m'apercevoir qu'il était, lui aussi, devenu une boite de travail, une extension sur mesure de mon corps assis et rien d'autre, et qu'avec tout le bordel qu'il y avait autour, j'étouffais. Trop d'affaires, de papier, de livres, de sacs, de dossiers, de tiroirs... Hormis les quelques centimètres carrés pour écrire, je ne pouvais pas bouger, ou j'avais l'impression d'être coincé à mon bureau comme le personnage de 2001 Odyssée de l'Espace qui se cale pour discuter avec son ordinateur. Les livres, en particulier, m'agaçaient. Ils m'empêchaient de lire, écrasé que j'étais par le poids superflu qui pesait sur mes frêles épaules. Je jetai un coup d'oeil sur ces bouquins que je ne lirais probablement plus jamais, ou à de rares occasions, et qui m'empêchaient de trouver ma place parmi eux, tel le poids d'une ascendance trop prestigieuse empêche le petit dernier de faire ses premiers pas dans la vie. Sous le regard médusé de ma compagne, qui me conseilla avec le bon sens de la ménagère de régler l'intérieur avant de toucher l'extérieur, j'ai pris deux gros sacs et exit, mes précieux livres. J'ai décidé de ne garder que le minimum vital, les livres dont j'avais besoin pour vivre. Les autres sont là, ils dorment désormais dans ces sacs, je connais leur présence, leur poids, leur volume, je sais ce qu'il y a ce qu'il manque, j'irai piocher éventuellement les choses dont j'ai besoin. Restent les livres blancs, dont j'ai besoin pour le boulot, le bac, ces trucs là. L'utilitaire: Candide, Don Juan et tous ces trucs qui ressortent, bien au chaud, chaque année au bac. Et surtout les livres d'une vie. Ca en fait, tout de même, quelques-uns. Borges, Cervantes, Nabokov, Montaigne, Shakespeare, Bernanos, Gide, Flaubert, Stendhal, Proust, Homère, Virgile, Gracq... Des happy fews dont je sais qu'ouvrir n'importe quelle page me donnera une désespérante leçon. Mais ce seront des cours déculpabilisants qui parleront à mon âme d'écrivaillon amateur, et pas des sentences lourdes de ceux qui ne se sont pas trompés. 
Je ne sais pas, depuis, si j'ai eu tort ou raison, mon bureau est un peu plus vide, je peux y travailler plus librement. Sans doute avais-je besoin de cet écrémage pour devenir, pour continuer une sorte de maturation lente et bouillonnante à la fois. Le chemin et encore très long, mais j'ai envie de m'en fixer des points, doucement, petit à petit. Jules deviendra-t-il écrivain ?

5 avril 2008

Ballade au Cap Béar

« Homme libre, toujours tu chériras la mer. » (Noter d’ailleurs la construction syllabique 4/2//4/2, qui vient mimer le balancement des vagues.) Je repense toujours à ce superbe vers lorsque je me rends à cet endroit magnifique, chaque fois que j’ai un coup de blues ou besoin de reprendre des forces. J’avais envie, à deux jours des épreuves, de revoir cette force des éléments, cette inaltérabilité du mouvement, qui se fout bien de savoir si j’aurai ou non mon agreg, de savoir même si je suis vivant ou mort. Simplement ainsi. Ca me rassure de sentir quelque chose qui me dépasse, un mouvement perpétuel qui finira tôt ou tard par m’englober et auquel je prendrai part, d’une manière ou d’une autre. Tout abandonner et retourner enfin à la terre-mer. Ca aide à relativiser les petits soucis du quotidien, en me rappelant à quel point je suis ridicule. La mer et la roche. Un combat éternel, le mouvement d’action et de réaction, d’élévation et de chute. Ces deux éléments m’ont toujours à la fois terrifié et fasciné. Leur alliance rappelle le primitivité de la nature. D’où mon goût pour l’Islande, terre de feu et de glace, de roche et de mer. Au milieu des éléments, quelle importance revêt ma petite vie ? Ca y est, le petit sac est en préparation. Voiture vérifiée (pas le moment de serrer le moteur !), paperasses, trousse, dictionnaires, quelques fiches, petits trucs à bouffer pour midi, à mi-épreuve. Si j’y pense, je prendrai mon diabolo, pour aller à la plage le soir. Soit footing, soit diabolo on the beach, ça me fera du bien. Chaque période difficile de ma vie aura été accompagnée par ce petit jouet qui ne ressemble plus à grand-chose. Je me demande si quelqu’un a déjà écrit une métaphysique du diabolo. Je suis certain qu’il y aurait plein de choses à dire. Le jouet dont l’intérêt réside dans l’équilibre et la rotation. L’apprentissage du juste milieu, quoi. DSCF3342 DSCF3354 DSCF3379 DSCF3381DSCF3361
24 juin 2008

Le premier concerto pour piano de Brahms

Inaugurer une telle rubrique avec Brahms...Je ne l'aurais pas cru jusqu'à il y a peu. J'ai toujours eu du mal avec ce compositeur, de la même manière que j'ai toujours eu beaucoup de mal avec Nerval. Ces deux artistes sont à rapprocher, je pense, l'un m'a toujours fait pnser à l'autre. L'histoire, pour le moins, ne me contredira pas. Un univers malade. Ca doit être difficile de diriger Brahms. Plus encore de le jouer, je pense, car il s'agit de ne pas aplanir cette folie sans pour autant la rendre totalement incohérente. Szell, dans cet enregistrement, y parvient fort bien. Un équilibre instable, une fragilité permanente. D'une portée à l'autre, on passe la douceur à la violence, de la colère à la mélancolie. Les passages ne se tiennent jamais. Le pianon n'est jamais écrasé et remplit bien son rôle de catalyseur. Une très belle oeuvre. De celles qu'on met beaucoup de temps à comprendre. Ca ne fait que quelques semaines qu'elle m'obsède, des années après l'avoir rejetée en bloc. J'ai enfin l'impression d'avoir commencé à trouver une porte d'entrée. A suivre. 26901747_m
3 août 2008

Un choc musical

Samedi soir, un autre passe-droit du conseil général nous a permis d'aller écouter, en première loge, un morceau que je n'avais jamais entendu, mais dont le titre me faisait déjà penser le plus grand bien: le Quatuor pour la fin du Temps (1941), d'Olivier Messiaen (1908-1992). Je craignais un peu l'effet "musique contemporaine" en arrivant: une musique tellement hermétique qu'elle en devient inaudible. Mais je voulais quand même m'immerger, d'autant plus que le cadre magnifique de l'abbaye de St Michel de Cuxa le permettait volontiers. D'autant plus que l'on ne s'était vraiment pas foutu de nous: nous étions au premier rang, à moins d'un mètre des musiciens. Après une offrande musicale assez laborieuse et un entracte démesurément long, je commençais à me dire que j'avais perdu mon temps, jusqu'à ce que le clarinettiste du quatuor vienne faire un petit laïus sur l'histoire de cette oeuvre, composée à Verdun et dans le camp de Görlig. Cet éclairage donné, le morceau débuta. Je ne le compris pas sur le moment, mais ce fut une explosion musicale. A la fois un sentiment de malaise, un déséquilibre poussé jusqu'à l'extrême, mais aussi, et surtout, une musique qui dépasse largement les conditions houleuses de sa création. Ce titre faulknérien est on ne peut mieux choisi, ce quatuor célèbre le temps qui ne sera plus, non celui qui verra la fin de la guerre et des vicissitudes de l'hic et nunc, mais celui du jugement dernier. C'est d'ailleurs à partir d'une citation de l'Apocalypse (« Je vis un ange plein de force, descendant le ciel, revêtu d’une nuée, ayant un arc-en-ciel sur la tête. Son visage était comme le soleil, ses pieds comme des colonnes de feu. Il posa son pied droit sur la mer, son pied gauche sur la terre, et, se tenant debout sur la mer et la terre, il leva la main vers le Ciel et jura par celui qui vit dans les siècles des siècles, disant : il n’y aura plus de temps ; mais au jour de la trompette du septième ange, le mystère de Dieu se consommera. » , chapitre X) que Messiaen a organisé son morceau. Toutes ces données échappent à l'auditeur lorsqu'il est traversé par cette musique, car le sentiment de malaise qu'elle dégage le transporte, paradoxalement, vers une grande sérénité, vers un équilibre que l'on finit par trouver progressivement. Ce type de morceau est assez ingrat lorsqu'on ne prend pas la peine de le prendre à bras-le-corps, et je comprends tout à fait que l'on en sorte plus que dubitatif, même si cette oeuvre est quand même assez abordable. Pour ma part, je ne me suis pas ennuyé une seule seconde, et je ne dus pas être le seul, à en croire les dix secondes de silence qui suivirent la dernière note du morceau. Une expérience extraordinaire. Image_Quatuor_fin_du_temps
26 septembre 2008

Well done, Jules !

Sans trop y croire, j'avais fait une demande pour être admis en deuxième année d'anglais. C'est une prof qui m'avait suggéré ça, en voyant que je me spécialisais sur Steinbeck. Sans trop y croire, j'avais demandé et rempli un dossier à la hussarde: bazardé les photocops de tous mes bulletins de note (ce qui faisait déjà un dossier d'un cm d'épaisseur, hein), avec CV, lettre de motiv et tout le tintouin.
Honnêtement, j'espérais seulement être dispensé de quelques cours de la première année.
Mais non, j'ai reçu le dossier hier par poste (alors que je n'avais donné aucune enveloppe timbrée: en 6 ans de fac, j'estime qu'ils peuvent bien me payer une enveloppe), qui me confirmait mon inscription en DEUG II. En clair, j'ai une première année offerte.
Trop bien.
Maintenant, il reste à assurer les cours que je devrai rattrapper, je sens que ça va être un peu la merde, mais je vais voir comment négocier tout ça. Après tout, je ne suis pas pressé, je ne fais ça que pour 1/ ma propre culture, 2/ mon CV, donc on est entre adultes, ce n'est pas comme en fac de lettres, où je devais bouffer et bosser à côté. Là, c'est que du plaisir, et je dois sérieusement me remettre à niveau.
Toujours bon de relancer la machine par un autre côté, et peut-être, si elle existe encore à ce moment-là, pourrai-je passer une mention complémentaire pour être prof de français ET d'anglais ?
We'll see.

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4 mars 2008

Une belle phrase

Enfin, belle, non, pas tellement. A vous de juger: "Ce qu'il faut c'est décourager le monde qu'il s'occupe de vous...Le reste c'est du vice." Céline, Mort à Crédit Du pur Céline, en concentré. Mort à Crédit est une sorte d'autobiographie (je dis sorte car à force de voir cette étiquette si simple réduite à une peau de chagrin par tous ces universitaires, je ne suis plus sûr de rien. Ca doit être ça, être brillant, pour ces gens-là: remettre en question des trucs simples pour faire croire qu'on en saisit un fondement bien plus radical), c'est assez atroce, mais on retrouve le souffle de Céline, si dévastateur, cette syntaxe morcelée, cette haine viscérale. Cette phrase arrive comme un cri de haine lancé à l'issue d'une scène où le jeune Ferdinand vient de se faire injustement virer de son travail d'adolescent. C'est comme ça, Céline. Tout est déformé, comme si l'on voyait les scènes nageant dans une éprouvette d'acide. On se demande pourquoi on trouve ça beau, finalement. C'est pas beau, Céline, c'est puissant: le lecteur est arraché et projeté dans cet univers déformant, dans cette brutalité du langage, à l'image de ses personnages qui subissent de plein fouet la violence et l'absurdité de leurs expériences. Enfin. 186
3 décembre 2009

Michel Onfray et la suspension

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Au fur et à mesure que je le fréquente à la lecture de ses livres, Michel Onfray est un personnage (non pas une personne dont je ne saurais juger: on ne perçoit la personne qu'à travers son masque d'auteur, bien que le clivage narrateur/auteur tende beaucoup à s'estomper chez lui) qui m'est de plus en plus sympathique. Déjà, en voyant son parcours qu'on peut, pour le moins, qualifier de courageux: démissionner d'un poste de prof de philo pour fonder une université libre (celle de Caen, en l'occurrence) ne doit pas être une décision facile à prendre, et marque un certain courage: il faut être sûr de son coup pour faire un truc pareil. Respect.

Ensuite en le lisant. J'avoue 1/ne pas avoir tout lu, et 2/ne pas avoir toujours terminé les livres que j'ai commencés (le traité d'athéologie, notamment, m'est tombé des mains). Mais son écriture est toujours d'une grande clarté, oscillant entre désir d'être compris du vulgus pecum (expression qu'il doit détester, je pense) et érudition très précise. Manifestement, Onfray a lu, beaucoup lu et beaucoup réfléchi à ce qu'il lisait, de manière on ne peut plus personnelle.
Se dégage de ses livres (ceux que j'ai lus, pour le moins) une sensibilité à fleur de peau, une capacité à intégrer dans sa pensée des éléments qui a priori ne font pas l'objet d'une conceptualisation, à concilier le paysan et le philosophe afin d'embrasser dans sa philosophie une sorte de totalité réconciliant corps et âme. Son petit bouquin sur le Sauternes, par exemple, est éloquent à cet égard, on y sent une grande influence de Bachelard, on croirait presque lire le sixième volume de la suite de livres que l'épistémologue avait consacrés aux éléments, sans néanmoins la plume géniale de son illustre prédécesseur. Ne fait pas du Bachelard qui veut. Se dégage parfois également, et c'est cela qui me le rend encore plus sympathique, une certaine mauvaise foi, en particulier dans ses écrits philosophiques. Toute pensée globalisante, systématisante si j'ose dire, passe nécessairement par une sorte de réduction, d'assimilation des faits, des textes et des images. Et cela est systématique chez lui, au point parfois de ne pas le sentir toujours très à l'aise dans son propos. Non. Ou plutôt d'une certitude tellement inébranlable dans sa philosophie du corps, à tel point que c'est le lecteur qui a tendance à décrocher et à vouloir se sortir de ce discours si univoque, lequel est si convaincu, si ferme qu'il nous met parfois mal à l'aise.
;Et encore, ce n'est pas tout à fait ça. La pensée de Michel Onfray, et c'est pour cela que le terme de "mauvaise foi" me venait, est redoutablement incisive avec tous ceux qui ne sont pas d'accord avec Michel Onfray. Voilà c'est ça. Ce spécialiste de Nietzsche manie le discours avec une telle virtuosité (Sarkozy en avait d'ailleurs fait les frais: bien joué Michel) qu'il devient, pour ainsi dire, difficile de discuter avec lui intellectuellement, il propose une pensée sans faille, sans porte de sortie en quelque sorte. Et cela est tellement récurrent qu'on n'en a même plus envie de laisser tomber, on se laisse prendre dans une sorte de second degré car, après tout, ses arguments, même s'ils ont parfois un petit goût de déjà lu, sont quand même bien structurés, argumentés, révélateurs d'une pensée en continuel mouvement. Et c'est cela qui me plaît le plus chez Onfray: sa capacité à faire partager le mouvement de sa pensée. De sa pensée et de ses goûts, comme en témoigne l'ouverture de son université du goût ou l'étendue des domaines sur lesquels il écrit et dont il parle.

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Une pensée en suspension, finalement. Le mot m'est venu en lisant son deuxième volume de sa contre-histoire de la philosophie, dont Onfray a eu le bon goût de la faire paraître en livre de poche, contrairement à d'autres bouquins que je n'achèterai qu'une fois qu'ils seront sortis dans des collections de ce genre (le Mille Plateaux de Deleuze et Guattari, par exemple). Onfray a un tic d'écriture qui m'insupporte, qui m'a toujours insupporté en littérature: les points de suspension. Ils me paraissent d'autant plus condamnables en philosophie que ce domaine de la pensée doit laisser le moins possible de zones d'ombre, de sous-entendus, de choses non-dites et que le lecteur doit deviner. Et pourtant ils sont systématiques, on en trouve au moins à deux reprises à chaque page. Ca fait un petit effet "je n'en dis pas plus, vous avez tout compris, c'est édifiant, même pas la peine que je précise", et ça, surtout chez un philosophe -je me répète-, ça m'agace terriblement. Prenons une page, vraiment, au hasard: "Epicure fournit un arsenal capable de mettre à mal le christianisme au pouvoir en offrant une métaphysique, une éthique, une sagesse, une politique de rechange. Péché mortel pour des philosophes...", ou encore "Jean enseigne que naître de Dieu empêche d'être souillé par le péché car en chacun reste toujours la trace de la divinité ? Le Libre-Esprit conclut que la grâce subsistent et que les actes comptent pour rien, jamais..." Dieu que ça m'agace. Procédé rhétorique, je veux bien, pratique aussi car il évite des digressions qui augmenteraient le volume du livre d'un bon tiers. Mais il reste que c'est prodigieusement agaçant car on s'en lasse. Les points de suspension d'Onfray n'ont pas la violence de ceux de Céline, de sorte qu'on en a assez vite marre. Ce tic, enfin, est récurrent dans ses textes historiques et philosophiques, on ne le trouve quasiment plus dans des textes plus personnels, comme celui cité plus haut ou le très beau petit livre Le Corps de mon Père, lu sur les conseils d'une aficionada et que je vais probablement faire lire à mes troisièmes. Ecrire démocratiquement. Une qualité qui rend tous les auteurs sympathiques, celui-ci d'autant plus, malgré les remarques que j'ai faites.

5 juin 2008

" REFUSE "

J'ai été recalé à l'agrégation de lettres: même pas admissible. Donc universitairement, une année de foutue. Des heures et des heures de travail, des soirées à bosser d'arrache-pied, une mauvaise humeur quasi-permanente, des innombrables allers-retours Perpignan-Toulouse, une somme astronomique entre les bouquins et les inscriptions diverses et variées... Tout cela pour rien, ou plutôt des notes minables. Une branlée. Alors je ne sais trop quoi penser. Certaines notes ne sont pas étonnantes, mais d'autres me surprennent davantage. Je n'ai pas envie, pour le moment, de repasser ce foutu concours. Je suis un peu écoeuré par cette gifle. Mais en même temps, il faudra tôt ou tard s'y recoller. On verra. Je suis allé passer une heure seul au bord de la mer, à port-Vendres. J'avais besoin de voir la mer, d'entendre et de sentir la mer, et j'aime cet endroit. Ca sent le poisson plus ou moins frais, le moteur chaud, les cordages, la mer... un port qui vit. Au moins, le rythme de la mer est imperturbable, et me reconnecte sur le vrai mode des choses. J'ai peur du contrecoup, en fait. Vivement que ce remplacement se termine, que je puisse me reposer. En tout cas, cette année a été humainement très riche. J'ai rencontré plein de gens géniaux, j'ai ouvert mon horizon, publié mon premier bouquin, le second ne devrait plus tarder...les choses ne sont pas entièrement négatives. SP_A0053
12 juillet 2009

Celui-là, je le terminerai peut-être. C'est bien

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Celui-là, je le terminerai peut-être. C'est bien parti, en tout cas, je dois en être aux deux tiers, et il m'intrigue tellement que je le finirai probablement, moins pour savoir ce que devient cette pauvre Tess que pour savoir où l'auteur veut en venir.
Parce qu'il est vraiment étrange, ce roman. J'ai du mal à le cerner, peut-être est-ce dû au fait que je ne le lis pas en anglais et que sa traduction tend à lui conférer un côté éthéré qui est absent dans le ton de l'auteur. Mais je n'avais pas le courage d'entamer en VO un livre aussi gros.
Donc Tess d'Urberville. La quatrième de couverture, que tout le monde lit, mais dont le principe m'a toujours paru être une absurdité, indique: "Jeune paysanne innocente placée dans une famille, Tess est séduite puis abandonnée par Alec d'Urberville, un de ses jeunes maîtres. L'enfant qu'elle met au monde meurt en naissant.
Dans la puritaine société anglaise de la fin du XIXe siècle, c'est là une faute irrémissible, que la jeune fille aura le tort de ne pas vouloir dissimuler. Dès lors, son destin est une descente aux enfers de la honte et de la déchéance."

Donc je m'attendais à une variation sur le thème de La Lettre écarlate. Ben pas du tout, à vrai dire ce bouquin a davantage tendance à me rappeler L'Assommoir, avec un je-ne-sais-quoi de Whitman ou de Thoreau (prononcez Sôwô, et non pas Tôrô, comme le fait un critique chevelu, tic de langage qui en dit long, par ailleurs sur sa bovinité...Enfin bref). Ce qui est indiscutable, c'est qu'il s'agit avant tout d'un roman victorien. Un vrai de vrai. Bien long, avec une narration qui embrasse une période de plusieurs années, narration on ne peut plus irrégulère par ailleurs: il est fréquent que l'auteur procède à des ellipses assez longues, ce qui est d'autant plus frappant que l'action est quand même globalement lente. Quoi qu'il en soit, on saisit vite que l'intérêt du roman n'est pas tellement de dresser le portrait de la vie paysanne du Wessex, mais de faire un hymne à la nature et à la féminité. C'est cette féminité qui transpire dans ce roman, qui le rend, paradoxalement, assez proche d'un Steinbeck ou d'un Whitman que de Zola ou Fontane, dont on a tort, à mon avis, de vouloir les rassembler dans le programme de littérature comparée d'agreg.
Car c'est ainsi que j'en suis venu là: en lisant ce foutu programme d'agrégation: "Destinées féminines dans le contexte du Naturalisme européen."  Programme magnifique s'il en est, mais qui présente comme des dissonnances: des trois romans, le seul qui paraisse vraiment naturaliste, au plein sens du terme, c'est Nana. Cela implique une subordination implicite qui entraîne des petits raccords regrettables. Je ne pense pas qu'Effi Briest mérite la qualification de roman naturaliste (on est bien plus proche avec Fontane de Zweig, de Mann ou d'Hofmannsthal que de Zola, dans une époque un peu éculée de prestige terni), encore moins Tess, qui se pose très clairement comme un roman victorien, même teinté du profond mysticisme panthéiste que je vien vaguement d'évoquer. Tout au plus peut-on retrouver dans ces trois oeuvres le projet cher à Barthes ou Auerbach, mais il me paraît abusif de les faire rentrer dans la case "naturaliste". Personnellement, je me serais contenté d'un "du dix-neuvième siècle".

Mais enfin. Il reste que Tess est un très beau roman, bien que particulièrement étrange, et comme toute belle oeuvre doit se clore par une boucle, je peux déclarer que je lui jetterai un honneur insigne: je le terminerai.

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