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9 juillet 2010

Le complexe du bon élève

TEOMAN_Seyfi_2008_Summer_book_1Certes, du haut de mes deux ans d'enseignement je n'ai pas encore une expérience bien épaisse des arcanes de l'éducation nationale, peut-être ces lacunes seront-elles (et je l'espère !) un jour comblées, mais je commence à avoir au compteur un petit nombre de réunions "pédagogiques" de tout poil: conseils de classe, réunions de fin d'année, commissions d'harmonisation de bac, réunions de récupération de copies d'examens, pré-rentrées... Et j'avoue être systématiquement abasourdi par l'infantilisation des enseignants. C'en est quasi-symptômatique. C'est ce que j'appelle, à part moi et quelques happy fews dont vous, lecteur, me faites le plaisir de lire (et de discuter !) cet avis, le complexe du bon élève.
Car soyons clair: un enseignant, dans la majorité des cas, est quelqu'un qui n'a jamais quitté l'école, c'est souvent celui qui est passé directement de l'école au collège, puis au lycée, puis à la fac et enfin par l'IUFM avant de se retrouver (enfin...) de l'autre côté du bureau, du "bon" côté. Les collègues avec lesquels j'éprouve le plus de plaisir à travailler sont ceux qui sont devenus profs "par hasard" et non ceux qui parlent de "vocation" ("j'ai toujours voulu être enseignant(e)")
De sorte qu'il est amusant (tout dépend, cela dit, du côté de la lorgnette, personnellement je trouve ça très inquiétant) de constater la faculté de ces gens à redevenir des élèves, dans le mauvais sens du terme, des élèves agaçants: chipotant des heures pour le moindre détail, perdant toute notion de bon sens, tout esprit de synthèse, jouant le jeu de la culpabilisation et de la récompense paternelle ("je sais bien que personne ne l'a dit et que ce n'est pas obligatoire, mais je vais quand même (après 5h de correction du brevet, sous un soleil de plomb, un premier Juillet, ndlr) retourner au collège voir si on n'a pas besoin de moi"), basculant dans la démagogie (je me suis quand même fait traiter de "facho" après avoir dit que j'exigeais que mes élèves récupèrent systématiquement le cours après une absence), à la recherche d'une autorité bienveillante ("je vous assure que l'inspecteur était joignable sur son mobile, il m'a répondu à cha-que-fois !") et devenant de plus en plus odieux à force de ne pas la trouver (ce qui est normal: le principe de l'EN c'est qu'il n'y a, statutairement, pas de supérieur hiérarchique, le CPE ou le directeur n'ayant finalement qu'une marge de manoeuvre assez mince sur les décisions des enseignants).

En clair, ce que les inspecteurs et rapports appellent "l'appréciation des enseignants" semble finalement les angoisser plus qu'autre chose ("dis, tu étudies quoi avec les tiens, toi ? On pourrait travailler ensemble? Hein ?"), ces gens qui sont le plus souvent des personnes brillantes, intelligentes, sympathiques et agréables dès qu'on les sort de leur carcan institutionnel. J'en suis venu à fuir comme la peste tous ces endroits où les profs se retrouvent, passant d'ailleurs pour un misanthrope.

Cela fait écho, d'ailleurs, à mes propres motivations. Ce dont je me souviens le plus, dans mon parcours scolaire, ce n'est pas d'avoir été un "bon élève" (si tant est que cette expression ait un sens) avec de bons résultats. J'étais plutôt dans la moyenne. La bonne moyenne, certes, mais sans jamais casser des briques non plus. Mais un aspect très net qui me revient, c'est le malaise devant l'autorité stupide et un problème avec la notion de règles. J'ai toujours du mal avec tout ce qui relève de la perte de bon sens au profit du sacro-saint règlement, avec ce qui tend à calibrer plutôt qu'à faire passer les plus élémentaires notions de savoir-vivre, avec tout ce qui tend à la pensée unique, à l'uniformisation des gens... et entendre des adultes déblatérer une demi-heure sur la présentation du ticket de renvoi de cours ou la démarche à adopter pour le rattrapage du cours par un élève absent, ça me donne l'impression d'être dans une cour de récréation plutôt qu'à une réunion entre adultes. C'en est angoissant. 
Et en y repensant encore, je comprends un peu mieux pourquoi mon année de stage fut, avec ma tutrice, une année de conflits terribles: elle était une excellente élève, pour qui le respect de la forme prévalait sur le contenu. S'entendre dire que je n'hésitais pas à changer toute l'orientation de mon cours ou mon interprétation d'un texte en fonction de la réaction des élèves lui était, et je le pense vraiment, inconcevable, lui posait vraiment problème, à elle qui calibrait toutes ses séances et que le carcan de la structure rassurait. Le cadre, pour moi, est indispensable (impossible de penser sans structure), mais ne doit jamais devenir une entrave à la pensée (que de belles méthodes sans contenus !); tandis que pour elle il s'agissait de toujours tout structurer, quitte à perdre de la matière ou à ce que les élèves décrochent. Qui a tort ? Qui a raison ? Sûrement un peu des deux, comme tous les problèmes relationnels.


Donc, pour ceux d'entre vous qui n'êtes pas du tout dans le milieu de l'enseignement, ne fantasmez plus sur ce qui se dit dans les réunions de profs une fois les portes closes. C'est, le plus souvent, ubuesque.

 

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