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5 décembre 2009

Quand on parle du loup...

Enfin, si j'ose dire, voici la lettre adressée par Michel Onfray à Nicolas Sarkozy concernant le transfert éventuel d'Albert Camus au Panthéon. Re-merci Michel.
Article paru dans Le Monde du 25 Novembre dernier (http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/11/24/monsieur-le-president-devenez-camusien-par-michel-onfray_1271343_3232.html) 

 

"Monsieur le Président, je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être, si vous avez le temps. Vous venez de manifester votre désir d'accueillir les cendres d'Albert Camus au Panthéon, ce temple de la République au fronton duquel, chacun le sait, se trouvent inscrites ces paroles :"Aux grands hommes, la patrie reconnaissante". Comment vous donner tort puisque, de fait, Camus fut un grand homme dans sa vie et dans son oeuvre et qu'une reconnaissance venue de la patrie honorerait la mémoire de ce boursier de l'éducation nationale susceptible de devenir modèle dans un monde désormais sans modèles.

De fait, pendant sa trop courte vie, il a traversé l'histoire sans jamais commettre d'erreurs : il n'a jamais, bien sûr, commis celle d'une proximité intellectuelle avec Vichy. Mieux : désireux de s'engager pour combattre l'occupant, mais refusé deux fois pour raisons de santé, il s'est tout de même illustré dans la Résistance, ce qui ne fut pas le cas de tous ses compagnons philosophes. De même, il ne fut pas non plus de ceux qui critiquaient la liberté à l'Ouest pour l'estimer totale à l'Est : il ne se commit jamais avec les régimes soviétiques ou avec le maoïsme.

Camus fut l'opposant de toutes les terreurs, de toutes les peines de mort, de tous les assassinats politiques, de tous les totalitarismes, et ne fit pas exception pour justifier les guillotines, les meurtres, ou les camps qui auraient servi ses idées. Pour cela, il fut bien un grand homme quand tant d'autres se révélèrent si petits.

Mais, Monsieur le Président, comment justifierez-vous alors votre passion pour cet homme qui, le jour du discours de Suède, a tenu à le dédier à Louis Germain, l'instituteur qui lui permit de sortir de la pauvreté et de la misère de son milieu d'origine en devenant, par la culture, les livres, l'école, le savoir, celui que l'Académie suédoise honorait ce jour du prix Nobel ? Car, je vous le rappelle, vous avez dit le 20 décembre 2007, au palais du Latran : "Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé." Dès lors, c'est à La Princesse de Clèves que Camus doit d'être devenu Camus, et non à la Bible.

De même, comment justifierez-vous, Monsieur le Président, vous qui incarnez la nation, que vous puissiez ostensiblement afficher tous les signes de l'américanophilie la plus ostensible ? Une fois votre tee-shirt de jogger affirmait que vous aimiez la police de New York, une autre fois, torse nu dans la baie d'une station balnéaire présentée comme très prisée par les milliardaires américains, vous preniez vos premières vacances de président aux Etats-Unis sous les objectifs des journalistes, ou d'autres fois encore, notamment celles au cours desquelles vous avez fait savoir àGeorge Bush combien vous aimiez son Amérique.

Savez-vous qu'Albert Camus, souvent présenté par des hémiplégiques seulement comme un antimarxiste, était aussi, et c'est ce qui donnait son sens à tout son engagement, un antiaméricain forcené, non pas qu'il n'ait pas aimé le peuple américain, mais il a souvent dit sa détestation du capitalisme dans sa forme libérale, du triomphe de l'argent roi, de la religion consumériste, du marché faisant la loi partout, de l'impérialisme libéral imposé à la planète qui caractérise presque toujours les gouvernements américains. Est-ce le Camus que vous aimez ? Ou celui qui, dansActuelles, demande "une vraie démocratie populaire et ouvrière", la "destruction impitoyable des trusts", le "bonheur des plus humbles d'entre nous" (Œuvres complètes d'Albert Camus, Gallimard, "La Pléiade", tome II, p. 517) ?

Et puis, Monsieur le Président, comment expliquerez-vous que vous puissiez déclarer souriant devant les caméras de télévision en juillet 2008 que, "désormais, quand il y a une grève en France, plus personne ne s'en aperçoit", et, en même temps, vouloir honorer un penseur qui n'a cessé de célébrer le pouvoir syndical, la force du génie colérique ouvrier, la puissance de la revendication populaire ? Car, dans L'Homme révolté, dans lequel on a privilégié la critique du totalitarisme et du marxisme-léninisme en oubliant la partie positive - une perversion sartrienne bien ancrée dans l'inconscient collectif français... -, il y avait aussi un éloge des pensées anarchistes françaises, italiennes, espagnoles, une célébration de la Commune, et, surtout, un vibrant plaidoyer pour le "syndicalisme révolutionnaire" présenté comme une "pensée solaire" (t. III, p. 317).

Est-ce cet Albert Camus qui appelle à "une nouvelle révolte" libertaire (t. III, p. 322) que vous souhaitez faire entrer au Panthéon ? Celui qui souhaite remettre en cause la "forme de la propriété" dans Actuelles II (t. III, p. 393) ? Car ce Camus libertaire de 1952 n'est pas une exception, c'est le même Camus qui, en 1959, huit mois avant sa mort, répondant à une revue anarchiste brésilienne, Reconstruir, affirmait : "Le pouvoir rend fou celui qui le détient" (t. IV, p. 660). Voulez-vous donc honorer l'anarchiste, le libertaire, l'ami des syndicalistes révolutionnaires, le penseur politique affirmant que le pouvoir transforme en Caligula quiconque le détient ?

De même, Monsieur le Président, vous qui, depuis deux ans, avez reçu, parfois en grande pompe, des chefs d'Etat qui s'illustrent dans le meurtre, la dictature de masse, l'emprisonnement des opposants, le soutien au terrorisme international, la destruction physique de peuples minoritaires, vous qui aviez, lors de vos discours de candidat, annoncé la fin de la politique sans foi ni loi, en citant Camus d'ailleurs, comment pourrez-vous concilier votre pragmatisme insoucieux de morale avec le souci camusien de ne jamais séparer politique et morale ? En l'occurrence une morale soucieuse de principes, de vertus, de grandeur, de générosité, de fraternité, de solidarité.

Camus parlait en effet dans L'Homme révolté de la nécessité de promouvoir un "individualisme altruiste" soucieux de liberté autant que de justice. J'écris bien : "autant que". Car, pour Camus, la liberté sans la justice, c'est la sauvagerie du plus fort, le triomphe du libéralisme, la loi des bandes, des tribus et des mafias ; la justice sans la liberté, c'est le règne des camps, des barbelés et des miradors. Disons-le autrement : la liberté sans la justice, c'est l'Amérique imposant à toute la planète le capitalisme libéral sans états d'âme ; la justice sans la liberté, c'était l'URSS faisant du camp la vérité du socialisme. Camus voulait une économie libre dans une société juste. Notre société, Monsieur le Président, celle dont vous êtes l'incarnation souveraine, n'est libre que pour les forts, elle est injuste pour les plus faibles qui incarnent aussi les plus dépourvus de liberté.

Les plus humbles, pour lesquels Camus voulait que la politique fût faite, ont nom aujourd'hui ouvriers et chômeurs, sans-papiers et précaires, immigrés et réfugiés, sans-logis et stagiaires sans contrats, femmes dominées et minorités invisibles. Pour eux, il n'est guère question de liberté ou de justice... Ces filles et fils, frères et soeurs, descendants aujourd'hui des syndicalistes espagnols, des ouvriers venus d'Afrique du Nord, des miséreux de Kabylie, des travailleurs émigrés maghrébins jadis honorés, défendus et soutenus par Camus, ne sont guère à la fête sous votre règne. Vous êtes-vous demandé ce qu'aurait pensé Albert Camus de cette politique si peu altruiste et tellement individualiste ?

Comment allez-vous faire, Monsieur le Président, pour ne pas dire dans votre discours de réception au Panthéon, vous qui êtes allé à Gandrange dire aux ouvriers que leur usine serait sauvée, avant qu'elle ne ferme, que Camus écrivait le 13 décembre 1955 dans un article intitulé "La condition ouvrière" qu'il fallait faire"participer directement le travailleur à la gestion et à la réparation du revenu national" (t. III, p. 1059) ? Il faut la paresse des journalistes reprenant les deux plus célèbres biographes de Camus pour faire du philosophe un social-démocrate...

Car, si Camus a pu participer au jeu démocratique parlementaire de façon ponctuelle (Mendès France en 1955 pour donner en Algérie sa chance à l'intelligence contre les partisans du sang de l'armée continentale ou du sang du terrorisme nationaliste), c'était par défaut : Albert Camus n'a jamais joué la réforme contre la révolution, mais la réforme en attendant la révolution à laquelle, ces choses sont rarement dites, évidemment, il a toujours cru - pourvu qu'elle soit morale.

Comment comprendre, sinon, qu'il écrive dans L'Express, le 4 juin 1955, que l'idée de révolution, à laquelle il ne renonce pas en soi, retrouvera son sens quand elle aura cessé de soutenir le cynisme et l'opportunisme des totalitarismes du moment et qu'elle "réformera son matériel idéologique et abâtardi par un demi-siècle de compromissions et (que), pour finir, elle mettra au centre de son élan la passion irréductible de la liberté" (t. III, p. 1020) - ce qui dansL'Homme révolté prend la forme d'une opposition entre socialisme césarien, celui de Sartre, et socialisme libertaire, le sien... Or, doit-on le souligner, la critique camusienne du socialisme césarien, Monsieur le Président, n'est pas la critique de tout le socialisme, loin s'en faut ! Ce socialisme libertaire a été passé sous silence par la droite, on la comprend, mais aussi par la gauche, déjà à cette époque toute à son aspiration à l'hégémonie d'un seul.

Dès lors, Monsieur le Président de la République, vous avez raison, Albert Camus mérite le Panthéon, même si le Panthéon est loin, très loin de Tipaza - la seule tombe qu'il aurait probablement échangée contre celle de Lourmarin... Mais si vous voulez que nous puissions croire à la sincérité de votre conversion à la grandeur de Camus, à l'efficacité de son exemplarité (n'est-ce pas la fonction républicaine du Panthéon ?), il vous faudra commencer par vous.

Donnez-nous en effet l'exemple en nous montrant que, comme le Camus qui mérite le Panthéon, vous préférez les instituteurs aux prêtres pour enseigner les valeurs ; que, comme Camus, vous ne croyez pas aux valeurs du marché faisant la loi ; que, comme Camus, vous ne méprisez ni les syndicalistes, ni le syndicalisme, ni les grèves, mais qu'au contraire vous comptez sur le syndicalisme pour incarner la vérité du politique ; que, comme Camus, vous n'entendez pas mener une politique d'ordre insoucieuse de justice et de liberté ; que, comme Camus, vous destinez l'action politique à l'amélioration des conditions de vie des plus petits, des humbles, des pauvres, des démunis, des oubliés, des sans-grade, des sans-voix ; que, comme Camus, vous inscrivez votre combat dans la logique du socialisme libertaire...

A défaut, excusez-moi, Monsieur le Président de la République, mais je ne croirai, avec cette annonce d'un Camus au Panthéon, qu'à un nouveau plan de communication de vos conseillers en image. Camus ne mérite pas ça. Montrez-nous donc que votre lecture du philosophe n'aura pas été opportuniste, autrement dit, qu'elle aura produit des effets dans votre vie, donc dans la nôtre. Si vous aimez autant Camus que ça, devenez camusien. Je vous certifie, Monsieur le Président, qu'en agissant de la sorte vous vous trouveriez à l'origine d'une authentique révolution qui nous dispenserait d'en souhaiter une autre.

Veuillez croire, Monsieur le Président de la République, à mes sentiments respectueux et néanmoins libertaires."

 

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4 décembre 2009

Premier morceau qui tient la route !

D'ici une semaine ou deux, ce premier morceau sera, je pense, fini: je l'aurai terminé. La première invention de Bach. C'est un petit début, certes, mais un début.


Mon prochain morceau sérieux: la sonate en ré majeur, de Domenico Scarlatti. Mais patience.

3 décembre 2009

Michel Onfray et la suspension

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Au fur et à mesure que je le fréquente à la lecture de ses livres, Michel Onfray est un personnage (non pas une personne dont je ne saurais juger: on ne perçoit la personne qu'à travers son masque d'auteur, bien que le clivage narrateur/auteur tende beaucoup à s'estomper chez lui) qui m'est de plus en plus sympathique. Déjà, en voyant son parcours qu'on peut, pour le moins, qualifier de courageux: démissionner d'un poste de prof de philo pour fonder une université libre (celle de Caen, en l'occurrence) ne doit pas être une décision facile à prendre, et marque un certain courage: il faut être sûr de son coup pour faire un truc pareil. Respect.

Ensuite en le lisant. J'avoue 1/ne pas avoir tout lu, et 2/ne pas avoir toujours terminé les livres que j'ai commencés (le traité d'athéologie, notamment, m'est tombé des mains). Mais son écriture est toujours d'une grande clarté, oscillant entre désir d'être compris du vulgus pecum (expression qu'il doit détester, je pense) et érudition très précise. Manifestement, Onfray a lu, beaucoup lu et beaucoup réfléchi à ce qu'il lisait, de manière on ne peut plus personnelle.
Se dégage de ses livres (ceux que j'ai lus, pour le moins) une sensibilité à fleur de peau, une capacité à intégrer dans sa pensée des éléments qui a priori ne font pas l'objet d'une conceptualisation, à concilier le paysan et le philosophe afin d'embrasser dans sa philosophie une sorte de totalité réconciliant corps et âme. Son petit bouquin sur le Sauternes, par exemple, est éloquent à cet égard, on y sent une grande influence de Bachelard, on croirait presque lire le sixième volume de la suite de livres que l'épistémologue avait consacrés aux éléments, sans néanmoins la plume géniale de son illustre prédécesseur. Ne fait pas du Bachelard qui veut. Se dégage parfois également, et c'est cela qui me le rend encore plus sympathique, une certaine mauvaise foi, en particulier dans ses écrits philosophiques. Toute pensée globalisante, systématisante si j'ose dire, passe nécessairement par une sorte de réduction, d'assimilation des faits, des textes et des images. Et cela est systématique chez lui, au point parfois de ne pas le sentir toujours très à l'aise dans son propos. Non. Ou plutôt d'une certitude tellement inébranlable dans sa philosophie du corps, à tel point que c'est le lecteur qui a tendance à décrocher et à vouloir se sortir de ce discours si univoque, lequel est si convaincu, si ferme qu'il nous met parfois mal à l'aise.
;Et encore, ce n'est pas tout à fait ça. La pensée de Michel Onfray, et c'est pour cela que le terme de "mauvaise foi" me venait, est redoutablement incisive avec tous ceux qui ne sont pas d'accord avec Michel Onfray. Voilà c'est ça. Ce spécialiste de Nietzsche manie le discours avec une telle virtuosité (Sarkozy en avait d'ailleurs fait les frais: bien joué Michel) qu'il devient, pour ainsi dire, difficile de discuter avec lui intellectuellement, il propose une pensée sans faille, sans porte de sortie en quelque sorte. Et cela est tellement récurrent qu'on n'en a même plus envie de laisser tomber, on se laisse prendre dans une sorte de second degré car, après tout, ses arguments, même s'ils ont parfois un petit goût de déjà lu, sont quand même bien structurés, argumentés, révélateurs d'une pensée en continuel mouvement. Et c'est cela qui me plaît le plus chez Onfray: sa capacité à faire partager le mouvement de sa pensée. De sa pensée et de ses goûts, comme en témoigne l'ouverture de son université du goût ou l'étendue des domaines sur lesquels il écrit et dont il parle.

9782253083856

Une pensée en suspension, finalement. Le mot m'est venu en lisant son deuxième volume de sa contre-histoire de la philosophie, dont Onfray a eu le bon goût de la faire paraître en livre de poche, contrairement à d'autres bouquins que je n'achèterai qu'une fois qu'ils seront sortis dans des collections de ce genre (le Mille Plateaux de Deleuze et Guattari, par exemple). Onfray a un tic d'écriture qui m'insupporte, qui m'a toujours insupporté en littérature: les points de suspension. Ils me paraissent d'autant plus condamnables en philosophie que ce domaine de la pensée doit laisser le moins possible de zones d'ombre, de sous-entendus, de choses non-dites et que le lecteur doit deviner. Et pourtant ils sont systématiques, on en trouve au moins à deux reprises à chaque page. Ca fait un petit effet "je n'en dis pas plus, vous avez tout compris, c'est édifiant, même pas la peine que je précise", et ça, surtout chez un philosophe -je me répète-, ça m'agace terriblement. Prenons une page, vraiment, au hasard: "Epicure fournit un arsenal capable de mettre à mal le christianisme au pouvoir en offrant une métaphysique, une éthique, une sagesse, une politique de rechange. Péché mortel pour des philosophes...", ou encore "Jean enseigne que naître de Dieu empêche d'être souillé par le péché car en chacun reste toujours la trace de la divinité ? Le Libre-Esprit conclut que la grâce subsistent et que les actes comptent pour rien, jamais..." Dieu que ça m'agace. Procédé rhétorique, je veux bien, pratique aussi car il évite des digressions qui augmenteraient le volume du livre d'un bon tiers. Mais il reste que c'est prodigieusement agaçant car on s'en lasse. Les points de suspension d'Onfray n'ont pas la violence de ceux de Céline, de sorte qu'on en a assez vite marre. Ce tic, enfin, est récurrent dans ses textes historiques et philosophiques, on ne le trouve quasiment plus dans des textes plus personnels, comme celui cité plus haut ou le très beau petit livre Le Corps de mon Père, lu sur les conseils d'une aficionada et que je vais probablement faire lire à mes troisièmes. Ecrire démocratiquement. Une qualité qui rend tous les auteurs sympathiques, celui-ci d'autant plus, malgré les remarques que j'ai faites.

2 décembre 2009

Aimez-vous Brahms ?

Il a déjà été question d'un billet consacré ici à une des oeuvres qui me hante le plus. Oeuvre qui a presque une valeur d'intrus, dans la mesure où elle ne correspond pas tellement à mes périodes habituelles: le premier concerto en ré mineur, op.15, de Brahms, dont j'ai parlé il y a quelques semaines ou quelques mois. Je n'y reviendrai que pour quelques remarques incidentes au sujet d'une version que j'ai entendue mardi matin dans la voiture, sur France musique: une version adaptée non pour piano et orchestre, mais pour deux pianos.
J'avais déjà entendu un concert il y a quelques années la transformation de ce genre d'une oeuvre concertante pour piano et orchestre. C'était le quatrième concerto de Beethoven, et ce choix m'avait paru extrêmement judicieux dans la mesure où il s'agit du seul des cinq qui, à mon sens, parle d'une réconciliation entre les deux instances, qui ne s'opposent pas mais qui auraient plutôt tendance à s'enchaîner pour monter au ciel. Il n'y a qu'à écouter les premières mesures:

Ne serait-ce qu'à partir des premières mesures, le ton est donné. Comparez avec le début du cinquième, par exemple, du même:


Rien à voir, remarquez, on n'est plus du tout dans le même univers. 
Pour revenir à nos moutons, un peu surpris par ce choix, j'écoutai donc ce concerto jusqu'à la fin du premier mouvement, interprété par deux pianistes. L'un dont je n'avais jamais entendu parler, et l'autre que je connaissais un peu pour l'avoir entendu jouer il y a quelques mois le deuxième de Prokofiev (un chef d'oeuvre, incompréhensible pour des oreilles peu ou mal habituées au "classique", mais un véritable monstre sacré, ce concerto), ce qui m'avait d'ailleurs fait plonger dans la perplexité: passer (parce que oui, il s'agit bien, déjà, de passer pianistiquement) l'une des oeuvres les plus difficiles qui aient été composées pour cet instrument à vin gt-trois ans. Soit. 
Ce que je craignais arriva: j'ai été déçu, très déçu, dans la mesure où la perspective concertante de l'oeuvre de Brahms était complètement perdue. Les propos du piano se trouvaient dilués dans les résonances de l'autre piano (deux Steinway D, les mêmes, par dessus le marché), de sorte que du combat d'Hercule et de l'hydre, on arrivait à une sorte de bouillasse sonore un peu informe. Certes, l'auditeur est quand même amusé de se dire "ah tiens c'est rigolo ça fait pas pareil", mais je doute que Brahms eût apprécié que l'on réduise ce qu'il avait mis près de cinq ans à composer à une curiosité musicale, j'ai d'ailleurs cru sentir, dans ce qu'ils en disaient, le manque de conviction des pianistes, non sur leur jeu, mais sur l'intérêt d'une telle transcription. Et nul doute qu'ils avaient raison. 
Pour conclure cette bien désagréable écoute, plongez-vous, en trois parties, dans le premier mouvement de ce somptueux concerto en ré mineur, qui contient probablement dans ses deux dernières minutes les deux minutes les plus érectiles de la musique classique: 

 





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