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10 juillet 2011

Masturbation

images« Un mot sur le langage. Le jury n’est pas hostile à l’emploi de termes précis voire techniques, à condition qu’ils soient utilisés à bon escient et selon leur acception stricte. Toute description n’est pas une hypotypose, tout reflet une mise en abyme, une injonction ne relève pas nécessairement de la fonction performative du langage. Pas de méprise : l’espérance de réussite d’une leçon n’est pas

proportionnée à sa densité par phrase de termes abscons. Le jargon devient trop souvent une fin en soi, qui écrase le sens, les nuances et la saveur du texte . Etudier. L’outil d’analyse doit rester au service de l’interprétation. Combien de fois se transforme-t-il en écran de fumée, empêchant toute approche singulière ! On a l’impression que ces termes sont comme des grigris notionnels à la vertu

vaguement conjuratoire et qu’en les faisant hâtivement siens le candidat espère accéder à une science hautement désirée. Mais qui a dit que l’hermétisme était synonyme de précision ? à perdre l’exigence de clarté, on en vient à produire un simulacre d’explication. »

Rapport de Jury de l'Agrégation externe de lettres modernes de 2010, p. 103.
Cela est vrai, fort bien dit de surcroit. Jetons maintenant un coup d'oeil à la correction de l'épreuve de grammaire moderne, dont le sujet était la magnifique "lettre du voyant". Même rapport, p. 59
lien: http://media.education.gouv.fr/file/agr_ext/62/0/lettremod_157620.pdf

« 1.2. Un égocentrage décentré

La puissance et la visibilité de ce dispositif énonciatif rendent pour le moins paradoxal que le «  je » si régulièrement mis en avant par l’épistolier tende à s’y affirmer d'emblée comme « autre » - c’est-à- dire qu'il n'est pas seulement celui qui parle, mais il est aussi celui dont on parle. On remarque ainsi, dès la première ligne du texte, un mouvement inaugural de délocutivisation du « je » traduit de manière provocatrice par le non-accord grammatical de « Je est », et engageant logiquement un étrangement du je à. lui-même, altération et décentrement clairement soulignés par la scission métonymique du «  je regarde ma pensée ».

Un tel écartèlement du « je », et la double postulation énonciative qui s’ensuit, apparaissent notamment perceptibles dans divers grincements énonciatifs. Ainsi dans l'énoncé : «  il s’agit de se faire l’âme monstrueuse : à l’instar des comprachicos, quoi ! », cohabitent tension vers l’impersonnel (verbe impersonnel, pronom réfléchi de rang 3) et fort marquage subjectif (lexème affectivement

modalisé, détachement typographique de la sous-phrase averbale, interjection) – l’alliance de ces deux dynamiques en forme d’oxymore énonciative amenant à nuancer et réviser l’apparente univocité des analyses précédentes concernant l’égocentrage du discours. »

Des commentaires ?

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9 juillet 2011

De la rancoeur

manet_dejeunerSans doute l'un des sentiments les plus difficiles à analyser, et au sujet duquel il est le plus difficile d'écrire tant il emmène derrière lui une longue traîne de culpabilité, d'impressions mêlées. J'imagine de plus que cette amertume doit laisser un goût toujours âcre mais jamais similaire dans la bouche de celui qui l'éprouve. De même que les médecins nous disent que deux personnes ne voient jamais strictement la même couleur (ce qui ne laisse pas de me plonger dans la perplexité, comment parler convenablement du Déjeuner sur l'herbe s'il y a autant de perceptions que d'yeux qui l'admirent, que de couleurs sur la toile ? Ca en devient borgesien, il faudrait écrire un dialogue de critiques sur le déjeuner sur l'herbe, qui aurait lieu au cours d'un déjeunersur l'herbe), deux rancoeurs n'ont même pas un goût semblable sur deux sujets différents.
Les termes "goût", "bouche" ou "amertume" ne sont pas anodins. Tant il est vrai que nos sentiments prennent racine dans nos impressions sensibles, la rancoeur vient directement du substantif "rancidité", peu utilisé au profit de l'adjectif "rance", lequel désigne le goût d'un aliment à la fois gras et désagréable. Probablement par contamination métaphorique avec le latin cor, le mot a glissé dans le langage des sentiments. La rancoeur est, je la définirais ainsi, un sentiment mauvais que l'on éprouve à l'égard de quelqu'un ou de quelque chose, un mélange de regret et de colère contre une situation à laquelle on a pris part mais que l'on a fini par subir, comme si elle nous avait échappé. La rancoeur naît de l'impuissance face à un état que l'on ne désire pas mais auquel on ne peut changer grand-chose si ce n'est le regard que l'on finira par porter sur elle. A tout prendre elle a parti pris avec la jalousie, sentiment qui m'est en revanche, et heureusement, peu familier.
La rancoeur a un pouvoir dévastateur. Elle me fait penser au "poison que Médée apporta dans Athènes" tellement elle a ce pouvoir étrange de s'insinuer dans toutes mes pensées lorsque je l'éprouve. Il est difficile à subir parce qu'il me transforme en objet plein de colère et de tristesse mêlées. J'aimerais, dans ces moments-là, dire, hurler à la personne concernée ou à la situation qui me déstabilise que c'est de sa faute si je suis mal, lui demander pourquoi elle va si bien alors que j'ai encore des griefs contre elle, pourquoi elle s'est jouée ainsi de moi et a tiré profit de mon impuissance passagère, exiger qu'elle soit aussi mal que moi dans ces moments-là. Je sais que tu sais que je suis mal, et je t'en veux de me voir dans cet état, de connaître ma souffrance et de regarder ainsi par ton absence le serpent qui se débat dans sa peau devenue trop étroite et dont la mue n'est pas encore arrivée, et j'ai besoin de te mordre pour que tu ne me voies pas comme cela. Casse-toi ! Mais dans le cas où cette personne, ou collègue, ou ami, ou situation merdique, se retournerait pour me demander "oh c'est quoi ton problème ?", la colère retomberait comme un soufflé dans la mesure où cette situation que je déplore tant, j'y ai une part de responsabilité, j'y ai pris part, j'ai contribué à la créer. Il est donc normal de ne pas rejeter l'intégralité du tort sur l'Autre. Et une fois une discussion conctructive amorcée, même si elle doit prendre des semaines, des mois, des années à s'amorcer, les choses s'évacuent, le venin noir se purge. Peut-être est ce une colère quelque peu puérile contre moi-même que j'éprouve dans ces moments-là, comme le gosse qui s'est fait pécho la main dans le sac de bonbons et qui est en colère contre le sac quand il se retrouve puni dans sa chambre. Je sais bien...mais quand même, dirait l'autre.
Sans doute est-ce cela, la rancoeur. Elle doit s'évacuer, elle finit toujours par s'évacuer. Mais elle se cultive aussi, elle s'entretient, ou ai-je aussi à coeur de l'entretenir, de ne pas la laisser glisser dans les limbes. A cet égard je suis incroyablement rancunier. Il s'apprivoise, ce poison, comme Mithridate qui en prenait tous les jours pour s'y habituer au cas où un ami voudrait l'assassiner. Mais il faut aussi le purger pour qu'il ne nous empêche pas d'avancer, il faut l'évacuer, comme je le fais à ce moment-même par ces lignes ou il me bouffera le week-end.

9 juillet 2011

Hommage aux anonymes

Oui, voilà un peu plus de trois ans que ce blog s'est ouvert. En trois ans, il a allègrement dépassé la centaine de messages, à des fréquences plus ou moins irrégulières, et en trois ans j'ai encore du mal à lui donner une cohérence. A la base journal d'un jeune prof devenu inutile dans la mesure où une fois les premiers galons pris, les angoisses se sont dissipées d'elles-même, il est à la fois blog littéraire, support d'attaques indirectes, brouillon pour ne pas perdre la patte de l'écriture, dépositaire de belles lectures ou écoutes musicales... Merci donc à vous, nonymes ou anonymes qui prenez un peu de votre temps, tandis que la clepsydre se vide, pour parcourir ces billets.

Mon seul regret, si je puis me permettre, concerne la quasi-absence de commentaires. Non que je veuille rivaliser avec ces minots qui veulent des "coms", mais davantage pour avoir votre avis, vos réflexions, pour, pourquoi pas, établir un échange.
Merci encore à vous.

8 juillet 2011

Lettre aux jeunes collègues

Aujourd'hui a paru la liste des admis au CAPES de lettres modernes. J'y ai retrouvé le nom d'une amie, qui le passait pour la troisième ou quatrième fois. Une fille brillante, on avait commencé ensemble, je m'en souviens, une matinée de septembre 2001 (dix ans, bordel) dans une salle miteuse pleine à craquer d'étudiants improbables. C'était le cours de M. Falcon, qui nous a martyrisés deux ans durant avec ses cours magistraux de grammaire moderne. Quatre ans plus tard, nous étions à peine quatre à avoir obtenu notre maîtrise du premier coup, un carton plein. Amélie en faisait partie.
Puis a commencé pour elle la série des tentatives du CAPES. C'est lourd, ces préparations. Sortant d'un travail recherche sur des sujets assez pointus, il nous fallait passer à du très généraliste. D'extrêmement calé en presque rien, on nous demandait de savoir beaucoup de généralités sur presque tout. Pas nécessairement d'être hyper-pointu, mais de rassembler nos connaissances pour être en mesure d'improviser sur n'importe quel sujet de grammaire et de littérature. Et passer d'une démarche à une autre, ça fait bizarre. Et comme le talent est récompensé, Amélie a eu son CAPES.
Soit. Tout cela pour dire que ces concours sont vraiment des rites de passage, le passage de l'ère estudiantine, avec tout ce qui va avec; à l'âge d'homme. C'est pas facile de passer d'une manière de considérer son objet d'étude d'une autre façon, de se dire que l'on va entrer dans un autre monde dans lequel les après-midi passés à lire à la BU ou à assister à des séminaires universitaires seront des souvenirs. Ces concours sont nécessaires, ils constituent un seuil psychologique et sélectif important (malgré toute l'injustice que cela comporte, bien entendu) et les récentes mesures visant à le supprimer sous couvert de "modifications" et autres "réformes" me rendent plus que sceptique. D'une part pour cette dimension psychologique -argument discutable- mais aussi pour l'exigence que l'on avait vis-à-vis de sa matière. Tout se passe comme si l'on devait former maintenant des gens aptes à tenir des classes et à leur faire enseigner des généralités sans réelle teneur scientifique. Après tout, n'importe quel prof de collège serait en mesure d'apprendre la factorisation ou les verbes irréguliers. Cela est vrai, mais au prix de combien d'inexactitudes, d'a prioris, de flous, d'imprécisions ? Je frémis encore en entendant les élèves me dire "mais le COD, on le trouve en posant la question quoi ", car cela est la conséquence de ce nivellement. On ne parle plus d'enseignement de matière, mais d'encadrement éducatif. On éduque et on n'institue plus. Ou presque.
En réponse à la baisse catastrophique du niveau des élèves, et c'est toujours -laissez traîner une oreille dns n'importe quelle salle des profs- de la faute des autres: les parents qui n'éduquent plus, les instits qui racontent des conneries, la gendarmerie qui ne fait plus son travail, le gouvernement qui sucre des postes, la télé qui diffuse des dessins animés merdiques (comme si Dragon Ball Z ou Salut les Musclés avaient constitué un prolégomène à une éducation humaniste), Internet, les SMS... Mais couvrir la totalité d'un programme, faire bosser ses élèves jusqu'au 25 juin, faire un devoir minimum par semaine, , déchirer et poubeller un cahier crade en exigeant qu'il soit recopié proprement, potasser ses grammaires régulièrement, lire et relire ses classiques... cela est de notre ressort, et contribue à instituer des gamins qui auront eu une idée de ce qu'est un travail propre. Moi-même suis loin de me tenir stricto sensu à ces belles paroles et avoue avoir des disfonctionnements dans mon enseignements, une multitude d'erreurs que j'essaie de pallier. Mais quand je lis dans une correction officielle du brevet dernier des ABERRATIONS grammaticales qui m'auraient valu cent coups de férule par le cher M. Falcon sus-nommé ("vous compterez comme recevable la réponse "connecteur logique" comme classe grammaticale), ou que l'on supprime des pans entiers de grammaire dans les programmes de troisième, je me dis que oui, à ce train-là, en collaborant à cela je pourrais faire un cours de physique ou de techno en troisième .
Voilà dans quel monde vous entrez, chers nouveaux collègues. Vous en avez chié pour avoir le niveau que vous avez, ne le jetez pas aux oubliettes car même pour apprendre la coordination en sixième il faut mobiliser ce qu'on a vu en licence.

4 juillet 2011

The Reader, de Bernard Schlink

the_reader01

Je n'aime pas le cinéma, je déteste le cinéma. C'est un "art" qui pour moi n'a aucun intérêt. 
Signaler cela alors que je m'apprête à dédier un billet pour un film qui m'a remué les tripes peut être considéré comme un double hommage. Sans trop y croire, avec la tête comme une pastèque, remué par une journée longue comme un jour sans pain et sans silence, j'ai mis dans le truc qui rappelle vaguement un lecteur DVD de fortune (oui, je dois le sortir du meuble, le brancher, le connecter, il n'a pas de télécommande, il ne lit pas Divx, et il t'emmerde) le film que m'avait prêté une élève quelques jours auparavant: Le Liseur, film tiré du bouquin de Bernard Schlink
Soyons honnête: j'avais surtout envie de voir le film pour me délecter de la magnificence de Kate Winslet (oui, là aussi, et encore ), qui est pour moi la créature la plus sexy du monde, sisi, et le sujet du film ne m'intéressait pas tellement. En plus de me voir confirmé le talent de Kate, je suis plongé dans cette oeuvre magnifique, et Dieu sait qu'il m'en coûte de parler d'oeuvre en évoquant un film...

Comme pour toutes les grandes oeuvres sujet est relativement simple: un gamin de quinze ans rencontre, peu après la guerre, une femme plus âgée avec laquelle il a une liaison. Au fur et à mesure que le relation devient plus sérieuse, Hanna demande quotidiennement à Michaël de lui faire la lecture des classiques qu'il étudie à l'école: "d'abord tu lis, ensuite on fait l'amour". Une oeuvre, en particulier, revient très souvent: l'Odyssée. Un jour, le jour de l'anniversaire de Michaël, Hanna disparaît et laisse son appartement vide, laissant le jeune homme meurtri. Quelques années plus tard, le "kid" devenu étudiant en droit assiste à un procès à Berlin contre des criminelles nazies, accusées d'avoir laissé des femmes juives brûler dans l'incendie d'une église (anecdote qui n'est pas sans rappeler un passage des Bienveillantes évoqué dans un précédent billet, peut-être Littel s'en est-il inspiré ?). Tous bascule quand il reconnaît Hanna, laquelle est condamnée à perpétuité sans avoir avoué qu'elle ne pouvait être l'auteure du rapport accablant contre les geolières dans la mesure où elle ne savait ni lire ni écrire. Michaël retrouvera les oeuvres qu'il lisait à son ancienne maîtresse et les enregistrera sur cassette pour les lui envoyer dans sa prison, ce qui permet à l'ancienne criminelle d'apprendre à lire et à écrire. Vingt ans plus tard, Hanna est libérée, Michaël vient la voir la veille de sa libération et s'aperçoit à quel point la vie a changé leurs deux destins. S'apercevant de cette fracture, Hanna se pend dans sa cellule, après être grimpé sur ses livres rangé soigneusement sur une table. Le film se termine sur la tombe de l'éternelle bien aimée, devant laquelle Michaël s'apprête à raconter à sa fille cette histoire qui a transformé sa vie. Oui, maintenant vous connaissez la fin. Tant pis.

Loin d'être un film sur l'amour éternel plus fort que la mort et autres culculteries (désolé) ou une polémique de plus sur les atrocités nazies que c'est pas bien et bou que c'est méchant, cette oeuvre est un hommage à la littérature. La littérature primitive: celle qui se transmet par la voix, matériau malléable et réagençable à souhait. L'espace des personnages est celui de leur voix. Ils ne parlent pas, ou très peu et toujours pour des banalités loin des sentiments exprimés mais la beauté de leur parole est une beauté empruntée aux textes littéraires, de tout poil. De Tintin jusqu'à Lessing, d'Horce à Tchékhov, Hanna reste insaisissable dans la mesure où elle n'existe que par l'espace littéraire. Ce n'est pas pour rien que Schlinck en a fait une personne analphabète, analphabète et enfermée: enfermée dans son métro (quand Michaël la rencontre, elle est poinçonneuse dans un métro berlinois), dans son appartement, dans sa baignoire, dans sa cellule... la confrontation avec le monde extérieur la révèle fragile et finalement, si ce n'est sa sensualité maternante, assez quelconque, voire désagréable. Personnage ordinaire confronté à un destin extraordinaire (à l'instar de Wladyslaw Szpilman, le pianiste dont Polanski a tiré son merveilleux film, magnifique hommage à la musique de Chopin que peu de personnes semblent avoir compris), Hanna est émouvante par ce qu'elle véhicule moins que par ce qu'elle est. A travers elle le spectateur/lecteur/Jules chialant comme une gonzesse (rayer la mention inutile) se livre à une catharsis (ce que conseille une rescapée d'Auschwitz à Michaël, "les camps ne sont pas un théâtre où on évacue ses passions") et retrouve par l'intermédiaire de la voix du liseur le sens de la littérature: une voix coupée du monde et plongeant dans le monde.

 Je lis pas mal, d'ailleurs, je m'y remets: fini les Mémoires d'Hadrien, la Chronique d'une Mort annoncée, Manon Lescaut (en cours, surprenant, très surprenant, à commenter), A l'ombre des jeunes filles en fleur, à emprunter: Le lecteur (ben oui, autant lire le bouquin quand même) et La Culpabilité allemande, de Jaspers.
Les vacances ! 

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