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21 septembre 2013

Monologue face à une dalle

The_Tomb_of_the_Diver_-_Paestum_-_Italy

Au moins là nous avons le temps de parler. Largement le temps, même, une éternité. Surtout toi. Nous ne pouvions pas avant, ce n'était pas possible. Le jardin qui avait besoin d'être tondu, ou les volets à repeindre, ou le boulot. J'avais du travail aussi, et mes gosses qui poussent, demandant de l'attention et du temps. De l'amour aussi, plein d'amour que j'essaie toujours de leur donner du mieux que je peux en dépit de toutes mes maladresses, de toutes les fêlures qui lézardent le sourire doux et plein de tendresse que je leur accorde.
Comme toi, qui me donnes, qui irradies encore, malgré ces mottes de terre encore fraîche, de cette lumière que tu m'as donnée. Lumière de ce jour d'il y a quelques décennies, où la violence de mes poumons aspirant pour la première fois l'air comme une forge, disloquant ce morceau de chair qui devait se révéler être Moi, me fit hurler de douleur, ce moment où tu m'as pris dans tes bras pour me dire dans des sons qui n'étaient pas encore une langue que ça allait passer, que j'allais m'y habituer, juste avant de me poser dans les bras de ma mère.
Tout était là, doigt posé par Dieu sur la gouttière afin de sceller la mémoire, comme une ornière close que nous aurions tous les deux parcourue en sens inverse. En se croisant des fois, souvent au début et de plus en plus loin à mesure que la sente s'agrandissait, se creusait, que nous prenions tous les deux nos chemins. Je grandis, et peu à peu je m'éloignai selon le cours des choses. Plein de fois je me suis cassé la gueule. Des échecs dans mes études, des filles qui m'ont quitté, que j'ai quittées, des déménagements...Premières cuites, premiers salaires, première voiture... Je me forgeai une expérience, et toujours tu étais là. Là, mais silencieux. Aimant et pudique. Je me suis habitué à ton silence et aux mots que j'aurais aimé entendre sans que tu oses, peut-être, me les glisser. Pour des raisons que j'ignore, que j'ignorerai désormais. Ca va passer. Je m'y habituerai.

Là nous sommes entre hommes. Une fois de plus tu m'ouvres le chemin, la succession des événements me rappelle le cours naturel des choses. Et je suis comme un con à soliloquer seul face à cette dalle, sous laquelle tu reposes. J'espère que son poids ne t'étouffe pas trop. Que tu n'as pas froid maintenant que tous ces connards venus par hypocrisie ont rejoint leur Audi à siège chauffant et leur médiocrité. Médiocre je le suis aussi. Ni raté ni génie. Une vie faite de bouts de bois trouvés sur le chemin, auxquels j'ai essayé de donner une apparence d'armure. Une armure solide mais creuse, qui résonne du silence que nous avons instauré sans parvenir à le vaincre. Ennemi d'autant plus impitoyable qu'il arrive à se glisser entre les choses, entre les mots, entre mon amour et le tien. L'espace entre les choses a la forme de notre silence. Il les in-forme, et il m'handicape tous les jours. Les gens, les copains, les amis, les collègues, les voisins passent, glissent et ne reviennent pas tant le silence perçu comme ironique qui les accueille les blesse, malgré moi. Je n'en fais pas exprès pourtant. A cause de toi je deviens quelqu'un dont on se méfie. Que l'on n'invite pas. Que l'on ne rappelle plus. A cause de moi je n'ai pas la force de reprendre les armes contre cet ennemi qui nous a rendus, toi et moi, étrangers. Je sais comment faire mais je me décourage, comme celui qui nage pour lutter contre la pierre qui est accrochée à son pied. L'eau entre dans ses poumons et envahit progressivement tout son corps. Mouvement inverse de celui de sa naissance.
Je t'aime papa. La dernière fois que je te l'ai glissé, c'était quand je t'ai annoncé la grossesse de mon dernier enfant. Comme une petite pierre précieuse déposée au pied du sapin. Comme si cet enfant était aussi une tentative, une occasion pour te dire à quel point je t'aime et à quel point je suis plein de cette eau noire qui remonte de mes intestins jusqu'à ma glotte. La poitrine pleine de boue je n'arrivais pas à articuler tous ces mots qu'il me faut pourtant te dire. Pour que je sois un homme, pour que je sois un père, un compagnon, un ami, un copain, un voisin. Pour entrer en résonance avec moi-même et chanter dans la lumière.
Ce chant désormais ne comportera qu'une voix. Un morceau à une voix est bien moins beau qu'une invention ou une fugue. Il nous faudra communiquer ainsi désormais, à sens unique. Je le regrette mais c'est ainsi. Peut-être ne pouvions-nous pas faire autrement ? Il y a tant de choses dont j'aurais aimé te faire part et ma timidité, ma pudeur, mon sens absurde des convenances m'en a empêché. Tu étais sans doute là,  autre bout du fi attendant une tonalité. Peut-être ne parlions-nous plus, déjà, la même langue. Cette expérience d'homme que tu m'as transmise il me faut la porter seul, l'ornière de notre silence continuera d'être arpentée. Ca va passer. Je m'y habituerai.
A bientôt mon papa. Ne bouge pas. Je t'aime.

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18 septembre 2013

Les mauvais livres

J'en ai fini un hier soir, de mauvais livre. Il ne m'aura pas fallu longtemps pour le mettre en pièces, deux soirées tout au plus. Il était mièvre, il était mal écrit, les personnages se déroulaient selon une psychologie que l'on pouvait prévoir dix pages à l'avance, la fin était prévisible même pour un gros lourd comme moi... En le refermant m'est venue cette phrase de Barnes qui dit, en gros, que c'est dans les mauvais livres qu'on trouve les bonnes consignes d'écriture. Pour la première fois je mesure la profondeur de cette idée. Donc cet après-midi, je le rendrai, ce livre, à l'élève qui a eu la gentillesse de me le prêter en lui disant que j'ai beaucoup aimé. Je dis ça à chaque fois quand un livre m'a déplu : « j'ai beaucoup aimé, surtout la fin. » Ceux qui me connaissent bien comprennent que ce n'est pas, pour moi, un compliment. Comprendre : j'ai aimé le finir, bien entendu.
Mais je ne vous en dirai pas le titre, de ce fameux mauvais roman. Parce qu'il s'agit d'un premier roman. Parce qu'il a eu un succès fou d'abord sur le net puis en librairie au point de devenir l'une des meilleures ventes de l'année. Parce que je ne veux pas vous influencer. Et surtout, surtout, parce que je n'ai pas eu la détermination qu'a eue cette jeune auteure. La gnaque, cette propension à ne pas lâcher l'affaire malgré les lettres de refus. Avec ma combattivité de pieuvre je n'aurais pas eu cette patience, donc pour le moment je ferme ma gueule et je ne la dézinguerai pas. « Ta gueule Jules, écris ton livre, et on verra après. »
Il reste que je me demandais, pendant l'insomnie de quatre heures, ce que j'attendais d'un bon livre. Apparemment, l'auteure sus-nommée en attend un réconfort, une tranquillité, une lecture heureuse et caféinée (oups). Ca peut se défendre, la vie est tellement triste et sale qu'il faut bien tirer un échappatoire avec ses propres moyens.

A mon sens un bon livre doit être âpre comme le café du matin. Certains s'extasient sur la première gorgée de bière, moi c'est la première gorgée de café. On en sent la chaleur acide qui traverse votre corps jusqu'à l'estomac. Un bon livre doit mettre en relief l'absurdité de cette vie, faire sentir (car ces choses ne se comprennent pas, elles se ressentent) à quel point elle est dénuée de sens et à quel point nous sommes des arbres décharnés sur une terre stérile. Un bon livre doit pulvériser la langue, la faire exploser tant il en épuise la beauté. Non pas en la maltraitant mais au contraire en ne lui laissant pas une ligne de répit. Il s'agit de creuser un sillon : retourner la terre des mots, montrer la vie grouillante qui se niche sous les formules creuses dont nous nous servons quotidiennement. Un bon livre a une histoire qui tient la route, qui est simple. Simple et porteuse de tous les carrefours du monde. Nul besoin de rebondissements en cascade, au contraire. Les événements doivent prendre la place qu'ils méritent, se mettre à l'aise au fil des pages. Un bon livre doit être ressassé encore et encore. « Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage », mais l'ouvrage ne doit pas être parfait, il doit garder la patte de son auteur. A relire, on stérilise. Une bonne relecture sait distinguer les traits des scories, élimine raisonnablement comme la main du jardinier arrachant les mauvaises herbes en préservant les pousses.

Voilà quelques lignes du cahier des charges, sur ce brouillon virtuel que je n'arrive pas à fermer malgré tous les arguments qui me poussent à voir ailleurs. Il me manque, j'allais écrire, il ne me manque plus que la qualité principale, qui dépasse largement le domaine de l'écriture : la ténacité, la force de dépasser la petite voix susurrant que je n'y arriverai pas. Un bon livre porte aussi la trace du combat contre soi-même.

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