Marivaudage ronaldien
Elle était chatain clair, serrée dans une robe noire ridiculement courte et incongrue par ce temps frais et humide qui couvrait le trou de balle du monde dans lequel se situe mon collège, elle était très maquillée, bien qu'à la réflexion ce maquillage ne l'enlaidissait pas comme c'est si souvent le cas chez les jeunes femmes, elle était un peu forte sans pour autant être ce qu'on appelle aujourd'hui "ronde", elle avait des yeux bleus en amande et de jolies dents qui laissent deviner la femme qui sait ce qu'elle veut et quelle pomme mordre. Un piercing à la langue, aussi. Elle venait probablement manger dans ce Mc Do avec ses collègues de boulot parce qu'elle n'avaient pas eu le choix, prises par un horaire trop contraignant, car jamais elle ne se serait laissée traîner spontanément dans un de ces fast-foods merdiques.
Elle doit avoir dans les trente ans. Entre 27 et 30, j'aurais dit. Elle a pris une salade qu'elle mangeait lentement, tout en discutant avec ses collègues. Une voix cristalline, assez désagréable d'ailleurs. Peut-être est-ce dû au fait qu'elle était en train de parler en mal de quelqu'un d'absent. Je n'ai pas pu distinguer ce qu'elle disait, mais l'exclamation "quelle connasse !", qui s'est échappée de la bouche d'une de ses congénères, ainsi que le sourire indescriptible qu'elle affichait en parlant prouvait bien qu'elle ne pouvait pas ne pas parler d'autre chose. D'ailleurs, je me demande si je l'aurais remarquée si elle avait été en train de parler de quelque chose de banal, de ce qu'elle ferait ce week-end par exemple. Finalement, le fait de faire quelque chose de mal l'associait au mal, ou au péché, et la rendait de fait terriblement attirante, donnait envie de pécher.
Quelqu'un de très antipathique, en somme, et d'ailleurs le genre de femme médisante, vulgaire et superficielle qui ne me plaît pas du tout. Mais là, hier midi en mangeant mon Big Mac avec mes collègues, j'ai vécu une expérience telle que je n'en avais pas eue depuis longtemps. Rien de vulgaire ou de malveillant, je vous l'assure. Le plaisir d'observer quelqu'un dans son naturel sans être aperçu et de pouvoir en parler, du mauvais Marivaux en somme. C'est dans les premières lettres du journal du philosophe, je crois, que le narrateur raconte avoir surpris sa petit amie en train de faire des mimiques devant un miroir. Tellement déçu de constater que ces moues charmantes n'étaient pas dûes au naturel mais à un savant travail d'actrice, il la quitta.
Donc hier, au Mac Do, se trouvait une délicieuse inclination au péché. Dici.