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18 septembre 2010

La haine du superlatif

1864... ou petit éloge de ceux qui ne sont pas comme nous, qui ne paraissent pas comme nous, dans la mesure où la nature humaine réside individuellement.
Les Tirésias, Oedipe, Héphaïstos... Autant de personnages, de figures représentées comme infirmes. Boiteux, aveugles, muets, sourds, peuplent la littérature, représentent un topos fréquent, fût-il historique. La musique de Beethoven, par exemple, aurait-elle eu la même réception si le compositeur n'avait montré des signes de surdité ? Malgré tout le respect que j'ai pour le maître de Bonn et en dépit de tous les afficionados, je me permets d'en douter.
C'est un fait, ces figures me parlent, elles me fascinent, elles symbolisent pour moi ceux qui ont payé de leur personne le fait d'accéder à un autre niveau, de jouer le rôle de passeur, d'être ouvert à une dimension supérieure du monde. Tout cela est littérature, mais dans la transposition du quotidien, j'ai une affection particulière, un atome crochu comme on dit, pour les gens qui doutent.
Ceux dont on dit avec un certain dédain et avec la bêtise qui caractérise notre début de XXI° siècle (à tel point, sisi, que j'envisage de plus en plus sérieusement de mettre ma télé au rencard) qu'ils sont des "torturés", des "intellos", des "enculeurs de mouche". Plus ça va, et plus les gens affirmatifs, sûrs d'eux, qui s'expriment avec des formules claquantes et définitives ("tel livre est le plus grand qui soit", "telle oeuvre est une merde", "tel auteur n'a rien compris"...) me font peur, me donnent envie de ressortir la fameuse formule de Deleuze: "vous savez, je..." et d'éclipser la conversation. Non que ces points de vue soient erronés, stupides, ou qu'ils proviennent de personnes qui ne savent pas de quoi elles parlent ou incapables d’expliquer leur choix par a+b. Rien de tout cela. C’est juste que ce principe de l’affirmation me dérange, il semble contredire par nature ce sentiment diffus qui m’envahit à chaque œuvre que j’ouvre ou que j’écoute, à chaque personne que je rencontre : le doute. La possibilité d’une remise en question, le fait que cette rencontre, quelle qu’en soit la nature, puisse changer du tout au tout mon regard sur le monde. C’est pas évident, d’ailleurs, et souvent déceptif, comme manière de fonctionner. Et les personnes qui doutent sont celles qui m’interrogent le plus, qui résonnent le plus fortement car il y a toujours un champ ouvert.


Ainsi j’ai retrouvé hier une personne que j’aime beaucoup. Je crois pouvoir dire que je ne serais pas le prof que je suis maintenant si les aléas d’internet ne me l’avaient fait rencontrer il y a déjà quelques années de cela. Celle que j’appellerai Elise fait partie de ces personnes qui me semblent torturées, pleines de remises en questions, d’angoisses réflexives, mais qui avancent, qui font leur chemin. Sans toujours, probablement, être comprises, elles avancent sur une voie qui n’est certainement pas celle de tout le monde, fidèle à des perspectives et des points de vue qui égratignent, qui surprennent tous les gens habitués à l’habitude, mais qui reste remarquablement cohérente dans la mesure où l'on « prend le temps » (puisque le temps, maintenant, doit être pris) de s’arrêter et de discuter.
Certes, ces personnes-là sont handicapées par cette cohérence intérieure, elles sont souvent mal comprises, mal suivies par leur entourage professionnel ou par les braves gens. Mais, et certainement est-ce dû au fait que je deviens de plus en plus comme cela (car on n’est pas, je pense, comme Nietzsche, qu’on devient ce que l’on est (cela dit, il est devenu fou, lui, à ce sujet l’image de Nietzsche en larmes se jetant devant le cheval fouetté,
authentique ou non, m’a toujours rappelé ce passage de Crime et Châtiment
dans lequel Raskolnikov rêve de ce cheval battu à mort par une foule parce qu’il n’avait plus la force de tirer sa charrette)), je me sens plus à l’aise, plus libre avec ces personnes-là qu’avec les amoureux du superlatif, et non obligé d'abréger la conversation ou d'afficher un assentiment de façade.

 

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