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29 août 2010

De lineas

manuscrit_page_01C'est en préparant mes affaires pour la rentrée que je suis retombé sur ce gros tas de papiers enveloppé dans une grande feuille double: les lignes de l'année 2009-2010, soigneusement récupérées et collectionnées, tel un herbier annuel. Et comme les bonnes choses sont encore meilleures lorsqu'elles sont partagées, voici un petit florilège de ce que j'ai pu faire copier à ces charmants adolescents en mal de sanction inéducative (encore que: en recopiant, on apprend la rigueur, la régularité, on révise les mathématiques, la motricité, la cadence...), accompagné du commentaire recontextualisant (les prénoms, bien entendu, sont modifiés):

- "Je ne drague pas en cours de français": ça c'est Laura, cinquième, une petite élève toute mignonne qui en était dans la phase mi petite fille, mi ado, et qui commençait à m'agacer à force de minauderies. Indice flagrant de cette période: son père m'a parlé de ces lignes à la réunion parents-profs, en se marrant. Une vraie ado aurait signé ses lignes elle-même !
- "Je n'oublie pas mes affaires comme un demeuré": ça ce fut un putsch de mes élèves de troisième, qui décrétèrent qu'il était inutile, un vingt Juin, d'amener leurs affaires. Au bout de trois élèves surpris, je mets à la porte tous ceux qui n'avaient pas leurs affaires. Et toute la classe de se lever et de partir... Mi-abasourdi, mi content de ce congé inespéré, je rentrai en salle des profs quand un surveillant vint me voir et me dit qu'il n'avais pas les capacités d'accueillir toute la classe. Ce à quoi je repris les élèves sus-nommés pour les faire copier cette sentence jusqu'à la fin de l'heure.
-"Je ne parle pas comme un poissonnier/une poissonnière": cela se passe de commentaires, étant donné la langue parfois vivifiante de ces jeunes gens !
-"Je ne fais pas le pitre avec ma casquette" : non mais c'est vrai quoi, le cours de français n'est pas un lieu de jonglage !
-"Je n'attends pas comme un benêt que l'enseignant vienne me chercher", à tous les temps de l'indicatif. Ca c'est le genre d'élève mouton, qui est incapable, en fin de troisième, d'initiative personnelle, et qui attend gentiment que le professeur traverse toute la cour pour chercher la classe sans avoir l'initiative de s'avancer comme je lui en faisais signe. Le manque d'initiative est quelque chose qui m'agace très vite. Une variante relevée aussi: "je ne me traîne pas comme une limace asthmatique pour aller en cours".
-"Je n'escalade pas comme un demeuré la clôture du collège". celle-là aussi elle est bonne. Le gamin je l'attrape en train de faire le mur. Normalement, j'aurais dû direct l'envoyer chez le directeur, qui l'aurait probablement renvoyé... Peut-être ai-je mal fait, étant donné la pénibilité de l'élève en question, mais je décide de garder ça pour nous. Et en plus il râle...
- "Je ne viens pas en cours pour babiller". J'adore ce verbe, je le trouve absolument charmant, il sonne écrivains de cour, XVII et XVIII ème, Marivaux... Comment ne pas faire profiter mon cher Valentin de ce verbe si musical ! Et combien de fois dans sa vie entendra-t-il un tel terme ! r />-"Le cour de français n'est pas un boudoir" : après tout, il est explicitement demandé dans les programmes de faire intégrer du vocabulaire aux élèves. Boudoir, n'est ce pas un mot merveilleux, l'élève m'a même demandé s'il s'agissait du gâteau !
- Un bel exemple de rebellion adolescente: les élèves doivent nous amener une mallette, en chaque début de cours, dans laquelle est rangée le cahier de devoirs, le cahier de textes et le cahier d'appel. Tout cela est ritualisé, attention: un élève différent, chaque semaine, est responsable de la mallette, et si le boulot est bien fait il a droit à un pain au chocolat le vendredi soir. Je ne suis pas là pour vous dire que je trouve cette pratique révoltante et à la limite de l'humiliation, mais enfin, comme la plupart des règlements, je m'en contre-fous, et je demande à une élève, au hasard, d'aller me chercher le sésame. Elle s'exécute, avec une copine, et ce malgré mes rappels. A mon retour, donc, pour les deux: "Je ne me déplace pas comme un banc de sardines", et la deuxième de râler. Adoncques, pour elle: "Je ne me déplace pas comme un banc de sardines pour aller chercher la mallette de l'enseignant." CQFD.
- Enfin, dans les anecdotiques, "je ne dois pas jeter de gomme en cours". Là ç'avait été sportif: alors que j'écrivais un truc au tableau, je vois une gomme qui s'éclate à une vingtaine de centimètres de moi. C'était en début d'année, avec une classe difficile (dont les 2/3 ont d'ailleurs été virés avant Noël). Je me retourne et fais ce qu'il ne faut pas faire: je demande qui a lancé ça. Evidemment, personne. Mine de rien, ça commençait à monter de mon côté, car j'étais certain de mon coup, je savais qui c'était, je l'avais aperçu se rasseoir en vitesse. Deuxième chose à ne pas faire: je leur donne TOUS 500 lignes, à faire (et de trois) TOUT DE SUITE (c'était une fin de journée, dernière heure) en les menaçant de ne pas les libérer (c'était du bluff) tant qu'ils n'avaient pas fini (et de quatre). Là, il s'est dénoncé, comme un grand, et je dois bien avouer que j'ai eu chaud, j'étais vraiment border-line.

Après, je passe sur les "je ne ricane pas en cours", "je ne fais pas le pitre en cours"... tous aussi banals et déjà faits.  Et je ne vais pas relancer le débat sur l'inutilité des lignes, non par paresse mais parce que j'en ai déjà parlé précédemment: à faute stupide, sanction stupide. 
Et ces lignes créatrices sont, je le répète, une mine de pédagogie: ils apprennent de nouveaux mots, ils travaillent la régularité... Tout en réalisant que je peux moi aussi être très bête. 
Enfin, cela pourra éventuellement servir de menace cathartique le premier jour de cours. Bien que j'envisage de plus en plus sérieusement de faire recopier des fables.

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Commentaires
K
Tout à fait d'accord avec toi sur le principe "à faute stupide, sanction stupide".<br /> <br /> Je déteste la sanction soit-disant éducative. Une sanction est éducative si elle dissuade l'élève de recommencer, point. Et pour qu'elle soit disuasive, il faut qu'elle soit... ennuyeuse, barbante, pour ne pas dire autre chose.
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