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25 octobre 2011

Raisons funèbres ?

Aujourd'hui, première vraie journée de vacance. Arrivé à Paris la veille, j'étais, seul pour l'après-midi, au jardin du Luxembourg, en train de profiter d'un grand soleil tiède qui inondait la capitale, partagé entre des envies de sieste, la curiosité de regarder les gens passer en m'imaginant quelles étaient leurs préoccupations du moment et relire quelques pages de Bovary. Rien d'exceptionnel, en somme, un de ces moments dont j'avais à la fois envie et besoin: la perspective paresseuse d'un après-midi à ne rien faire d'important, entre cafés latins et librairies sorbonnagres.
C'est alors que m'est venue l'envie de partager des bribes de ce moment avec mon meilleur ami, Jean, probablement en route vers Bruxelles à l'heure qu'il était. Expression ridicule, d'ailleurs, quand on y pense. Ca veut dire quoi, meilleur ami ? Peut-on parler d'un meilleur ami plutôt qu'un autre ?
Soit. Dès qu'il décrocha, je sentis que quelque chose n'allait pas, comme s'il avait bu. Ce qui n'est pas invraisemblable dans l'absolu, mais impossible à deux heures de l'après-midi. Effectivement, il conduisait, et quelque chose n'allait pas. "Ma mère est morte dans la nuit". Le genre de phrase d'une terrible simplicité qui vient lézarder le cours de nos perceptions pour un petit moment. Nous nous sommes laissés sur quelques banalités et la promesse d'être là quand il le faudra, mais depuis, j'y pense.
J'aimerais vous raconter plein de choses sur cette dame qui nous a quittés la nuit dernière. Qu'elle préférait le thé plutôt que le café, ou l'inverse, que sa vie a été heureuse, ce qui fut probablement le cas, à quel âge elle a eu ses enfants, les petits défauts rigolos qui personnalisent les gens en les rendant attendrissants, ses opinions sur la politique, sur l'éducation... Je voudrais vous parler de l'amour qu'elle portait à ses enfants et à son homme, vous raconter les moments de joie qu'elle a pu traverser, les épreuves qu'elle a endurées et la vie riche qui fut la sienne.
Je pourrais, mais je ne le peux. Je ne l'ai pas connue, juste croisé un jour que Jean et moi nous apprêtions à monter à Paris en voiture. Je l'avais aidé à (sur)charger la bagnole, entre guitare, sacs et VTT... Ce dont je peux vous parler en détail, en revanche, c'est de l'une de ses plus belles oeuvres. L'un de ses enfants, Jean, que je suis fier d'avoir comme ami depuis quelques années.

Ce n'est pas quelqu'un d'un abord très simple, Jean, bien qu'il soit le premier surpris lorsqu'on le lui dit. Une personne avec beaucoup de charisme, un grand baraque brun aux cheveux ébouriffés, parlant peu quand on le rencontre, mais bien à chaque fois. Moi-même, quand je l'ai rencontré, dans des circonstances déjà assez stressantes, il m'avait impressionné par sa stabilité, sa confiance. Avec lui, vous sentez que vous êtes en sécurité, et qu'une parole ne sera pas trahie. Cette assurance est d'ailleurs paradoxale car à l'intérieur il n'est que curiosité, questionnement, propension vers quelque chose. Tenant à la fois du chêne et du roseau, il abrègera vite, et d'une réplique cinglante et drôle à la fois, une conversation sur des sujets qui ne l'intéressent pas, mais sera intarissable sur ceux qu'il aime et qu'il maîtrise. Ils sont d'ailleurs fort nombreux: la musique, la littérature, les voyages... Jean fait partie de ces (très très très) rares personnes à comprendre instantanément une référence littéraire. Il ne m'est plus besoin de parler beaucoup avec lui lorsque nous sommes à plusieurs dans une conversation. Un début de vers, le nom d'un personnage de roman, une date parfois, suffisent à établir une connexion, à comprendre une thématique, à lancer une idée sans qu'il soit besoin de développer. Vieux con par bien des aspects, Jean croit à des valeurs sûres. Le travail brut plutôt que le pédagogisme, l'action plutôt que les éternelles et bien souvent inutiles tergiversations ("tu procrastines, là, tu fais de la merde", comme il me le dit parfois). Il a été là à des moments qui m'ont été difficiles, il a su m'écouter et me donner son avis sans me l'imposer. C'est en grande partie grâce à lui que j'ai pris mon appart il y a bientôt deux ans de cela, c'est aussi avec lui que je me suis relevé de quelques mauvaises passes, et il fait partie de ces personnes que j'admire. Tout en étant porté vers le doute, celui est indissociable d'une grande souplesse d'esprit, il sait se donner une portée de mouvement, une latitude qui a généralement tendance à se rétrécir chez les gens au fur et à mesure que le temps passe. Bien entendu, comme nous tous il a ses faiblesses, ses points sensibles dont la simple évocation lointaine suffit à sentir, par l'inflexion d'une voix, quelques fondations de sable chez ce colosse intellectuel, fondations que le temps et la sagesse consolideront. Jean est un Homme solide, responsable, intelligent, sensible, drôle, prévenant. Rien de ce qui est humain ne lui est étranger, et je suis fier de l'avoir comme ami. Et je serai là dans deux jours, pour l'accompagner dans cette terrible épreuve.

Alors non, sa maman, je ne peux pas vous en parler autrement que par ce biais, et j'en suis désolé. Mais si l'on mesure le mérite de quelqu'un à l'aune de ce qu'il a créé sur cette terre, je peux vous assurer qu'elle était un putain de sacré bout de bonne femme. 

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Commentaires
S
Très joli texte Juju
L
Désolée pour lui...Tu sauras le soutenir, rien que par ta présence.
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