(Vraiment) pas envie de rentrer
Chaque année c'est la même chose: à peine la dernière sonnerie a-t-elle retenti que les supermarchés commencent déjà à faire le plein de fournitures, que nous sommes abreuvés par les reportages bidons sur le pouvoir d'achat de la pauvre mère de famille qui n'arrive pas à joindre les deux bouts pour acheter les fournitures de sa progéniture chérie, condamnée du coup à prendre ses cours sur un pauvre cahier pchit pchitpasdemarque... Rien que ça, ça m'exaspère à tel point que j'en viens à me demander si je ne vais pas remiser définitivement ma télé dans le garage familial.
Mais là, l'heure est grave: dans un peu plus de dix jours, c'est la rentrée, et je suis déjà fatigué.
Un prof fatigué, me direz-vous, ça tient presque de l'oxymore ! Comment un prof peut-il être fatigué, et surtout de quoi peut-il être déjà fatigué ?
Pas des élèves. Eux, je serais presque content de les retrouver: j'ai même déjà préparé mon programme annuel de troisième, et j'en serais presque fier (La Métamorphose, Stupeur et tremblement, Art, Electre, la première partie des Bienveillantes, groupements de textes sur la bêtise moderne, sur la guerre, sur la poésie en chanson française, sur les nouvelles américaines et sur les mauvais séducteurs), j'ai plein d'idées concernant l'oral d'histoire de l'art, sur la nouvelle merde que nous a pondue l'EN (la validation du socle commun de compétences, encore une vaste blague, j'en reparlerais à l'occasion), j'ai hâte de faire ma programmation de cinquième... Non, j'ai hâte de me mettre au travail.
Ce qui me fatigue, pour ne pas perdre de vue le propos initial, ce sont les collègues. Au risque de me répéter, je maintiens qu'il n'y a rien de plus bovin, de plus inefficace, de plus stupide qu'un troupeau de profs. C'est terrible, et à l'idée de retourner dans cette salle des profs dans laquelle il faut jouer la carte de la consensualité, passer au-dessus de la langue de vipère qui vous fait un grand sourire en vous dévisageant des pieds à la tête ("tiens, joli ton nouveau sac. Je l'aurais pris en noir, personnellement"), de celle qui ne vit que par, pour et à travers son boulot ("tu sais, je m'inquiète vraiment pour Kévin: de 15 au premier trimestre il est tombé à 14,5 au deuxième, j'appellerai ses parents dimanche après-midi"), les profs d'espagnol qui ne parlent que catalan entre eux, mes tire-au-flancs de service ("ba, tu sais, le programme, avec les élèves qu'on a, on fait ce qu'on peut, hein") et j'en passe, ma misanthropie naturelle trouve de quoi alimenter sa verve. De sorte que mes meilleurs amis sont devenus, sur mon lieu de travail, mon Ipod, le livre que je suis en train de lire, mon café et le piano de la salle de musique. Les vieux profs, aussi, à l'ancienne, me sont particulièrement sympathiques: ce sont le plus souvent les plus consciencieux.
Pardon ? Vieux con ? Oui, à force, je prendrais presque ça pour un compliment.