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30 septembre 2010

Les jeunes profs sont réacs !

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Petite discussion houleuse avec ma collègue de français hier sur le chemin du retour. C'est vrai: plus d'une heure de trajet quotidien, ça crée des liens !
Partis d'une question générale sur l'organisation du collège, le débat en est peu à peu venu à des questions de pédagogie, et en particulier sur les moyens d'intéresser les élèves au cours de "français" (ça m'agace, cette expression, elle est ridicule. Comme si le français était une seconde langue), ce qui m'a fait prendre conscience, en écoutant ce qui me paraissaient être des inepties, que nous, les jeunes profs fraîchement débarqués sur le marché, étions des profs réacs.

Chouette un débat ! Du sang, du clash, de la rhétorique cinglante !
Loin de nous ces petits jeux mesquins. L'argument de ma collègue, qui a une petite dizaine d'années de plus que moi et donc autant de bouteille, ce qui lui confère un droit à la parole et une attention soutenue, est qu'il n'y a pas de petit moyen pour faire pratiquer le français. Par conséquent, tout peut être support pédagogique, porteur d'une dynamique de travail, élan vers l'écriture, et donc vers la théorisation (eh m'dame, on le conjugue comment le participe passé ?", clameront les bambins effrayés par leur inaptitude à la conjugaison, et au Professeur d'injecter, hop l'air de rien, un peu de grammaire, etc). Ce discours, je le connais pour en avoir été gavé; c'est celui, sous une forme académique, qui nous a été seriné à l'IUFM: donner du sens aux apprentissages, décloisonner les savoirs pour les faire dialoguer, contextualiser les connaissances... (pour un plaidoyer de cette idée, lisez
le bouquin de Philippe Mérieu,  t;a href="http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2025">Lettre à un jeune professeur (notez au passage l'immodestie, elle veut bien dire ce qu'elle veut dire...). J'irais presque jusqu'à dire que je comprends cette idée, que j'en sens les tenants et les aboutissants. Et qu'il n'y a pas que du mauvais là-dedans. Sisi. Etudier le romantisme sans montrer un tableau de Friedrich et faire écouter une valse de Chopin me paraîtrait absurde. 
En revanche, ce qui me dérange vraiment, c'est de partir du postulat que notre matière, quelle qu'elle soit, ne se suffit pas en elle-même, qu'il faut aller voir des tableaux dans un musée pour faire écrire les élèves, qu'il faut chercher hors de son champ de travail (on en vient au nouveau crédo des inspecteurs: l'interdisciplinarité !) des points d'intérêt pour sa propre matière. Là, non. Exemple très concrèt: ma collègue a emmené toutes ses classes, armées de gants et de sacs-poubelles, ramasser les détritus dans un coin de montagne pas trop loin du collège. Ce qui est très bien dans l'absolu, bien que j'aie du mal à voir le rapport avec le français. Mais pauvre de moi, qui n'avais as saisi la portée pédagogique de ce travail: en leur demandant de faire un rapport, "nettoyer la nature les aide à réviser l'orthographe !"... Pour moi, je dois avoir tort et je suis persuadé que mon point de vue ne cessera d'évoluer, je crois qu'on frise le constat d'échec: si le français ne se suffit pas en lui-même, c'est qu'on a pas compris quelque chose. La contextualisation, l'insertion du savoir dans une culture, etc, c'est capital. Mais après.
Mais comment je fais moi ? Le texte, uniquement le texte. Je sors souvent de mes cours de littérature crevé parce que le m'escrime, pendant une heure ou deux, à montrer en quoi le passage que j'ai choisi de leur faire étudier est énorme, qu'il est magnifique, qu'ils doivent apprendre à
lire, non pas ce que ça raconte, mais ce que ça veut dire. Bien sûr, ça ne marche pas à tous les coups, bien sûr certains indécrottables ne s'intéressent pas, et oui parfois certains sont largués. Mais ça avance quand même, et quand ça marche, alors vraiment, c'est génial. Cela passe aussi par le fait qu'ils doivent me prendre pour un dingue, mais ça, peu importe ! Et la grammaire, c'est la grammaire, donc cours pur et dur, sur des points précis... J'avoue, des trucs ne vont pas: du mal à sortir de cette dichotomie grammaire/littérature, des difficultés à l'écrit que j'ai encore du mal à pallier... Tout n'est pas gagné, encore, mais ça ne fait que ma troisième année, j'ai des milliards de choses à apprendre, d'erreurs à commettre... En tout cas je sais ce que je ne veux pas.

Et ce dont je m'aperçois, c'est que les jeunes profs récemment sortis du CAPES/Agreg', puis de l'IUFM sont comme ça: de vieux cons réacs aux yeux des autres, et je m'en féliciterais presque: soûlés qu'ils ont été par les discours lénifiants de l'IUFM, après en avoir chié parfois plusieurs années avec le côté pur et dur de leur discipline, ils ont à coeur de maintenir, me semble-t-il, une authenticité, un esprit, une rigueur qui nous a été inculquée depuis bien longtemps et que l'on voit se perdre de plus en plus. Il y aurait, je crois, d'intéressantes enquêtes à faire auprès des jeunes enseignants quant au rapport entretenus avec leur discipline. Finalement, les jeunes cons sont les remplaçants des vieux cons. Et il n'y a qu'à s'en féliciter.

ps: aller nettoyer la nature et leur faire faire des rapports...non mais franchement...

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Commentaires
J
Ce n'est pas tant l'interdisciplinarité que met en oeuvre ta collègue que l'ancrage dans la 'vie réelle' (vieux topos pédagogiste de la didactique IUFMesque des langues étrangères). Il faut mettre 'en contexte': donc aller ramasser des ordures pour... travailler l'orthographe (sic).<br /> Je ne sais pas si le clivage réac/ progressiste-iufmien se situe au niveau de l'âge. J'ai pas mal de collègues âgées qui critiquent pas mal les réformes des dernières années. Cela dit, elles ne font pas des miracles non plus. Et d'autres jeunes profs ont complètement gobé le discours iufmien jusqu'à le prendre comme évidence - et mépriser d'autres formes de pédagogie.<br /> Je crois surtout qu'il faut enseigner de la façon qui nous est propre. L'enseignement n'est pas qu'une technique pédagogique, c'est aussi un 'subjectivisme': il y a une longue tradition en France qui considère l'enseignement comme s'approchant d'un 'art', l'art d'enseigner. Tout le mouvement iufmien s'est positionné contre cette tradition: il fallait, en 1985, "professionnaliser la profession" (sic). On est passé d'un extrême à l'autre. Et nous savons tous que ce sont les extrêmes qui sont mauvais... Reste à trouver le juste milieu.
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