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20 décembre 2008

"On enseigne la littérature française comme si c'était une langue morte."

Pour le coup, je dirais que c'est la réflexion la plus pertinente de l'année.
Elle sort de la bouche d'un IPR d'éco de l'académie de Paris, qui a fait mercredi une petite intervention sur le thème de la réforme du lycée. Autant dire qu'il arrivait en terrain hostile ! Un type très bien d'ailleurs, spécialisé dans l'orientation et webmaster de ce site: http:///conseilsdeclasse.letudiant.fr
Bref. C'est en évoquant l'enseignement des lettres et les sérieux remaniements que la réforme allait y amener qu'il a dit cette phrase qui, malgré la part de provocation qu'elle contient, est assez représentative de l'attitude de nos chères têtes blondes par rapport aux textes qu'on leur fait étudier.
Durant les rares cours de latin que j'ai suivis, les profs faisaient systématiquement une recontextualisation historique du texte que l'on s'apprêtait à traduire, parce que dans mon ignorance, et il faut bien parler d'ignorance crasse à ce sujet, hein, les distinctions entre les différentes périodes de l'histoire romaine me sont complètement étrangères. Alors certes, c'est relativement inacceptable de la part d'un futur prof de lettres que de mettre dans un même panier Virgile, Cicéron, César, Horace et Plaute, comme étant des auteurs latins, point barre. Pour un latiniste, cela est aussi aberrant que d'aborder Montaigne et Vian comme s'ils étaient contemporains. A la différence près que le latin est une langue morte, figée, considérée comme à travers les vitres d'un musée.
Et force est de constater que pour mes élèves, c'est un peu la même chose. Les différences de période, de siècle, de mouvement...les laissent à peu près indifférents: tous les auteurs sont considérés en synchronie, sans prendre en compte l'épaisseur de  la poussière qui les recouvre. Il n'est pas choquant, pour eux, de situer Diderot à la Renaissance ou Montaigne en pleine querelle des anciens et des modernes. Et je me suis aperçu aussi que je ne tenais pas assez compte de ce manque de perspective. Je ne vais pas parler de bêtise ou d'ignorance, sobriquets dont on affuble si facilement les élèves maintenant, mais l'explication vient surtout, et je me plante peut-être, de la perte de matérialité des choses. Tout devenant virtuel, l'histoire, et par conséquent l'Histoire, n'ont plus aucune épaisseur: les événements d'hier n'ont plus d'incidence sur les événements d'aujourd'hui, comme si les pages se rafraîchissaient d'elles-même au fur et à mesure que l'on saute les générations.
D'ailleurs, ce passage de la diachronie à la synchronie ne fait que se confirmer lorsqu'on aperçoit un peu ce qui se profile à l'horizon concernant l'enseignement du français. Il faut encore bien distinguer les chimères de ce qui sera effectivement, mais il y a fort à parier que notre travail sera bien plus technique, dans le mauvais sens du terme, que littéraire: synthèses, résumés, études d'articles de presse...Bref, quelque chose me dit que nous deviendrons plus des profs de culture générale que des profs de français. "Et cela est-il aberrant ? ", disait l'intervenant. Non, certes, cela n'est pas aberrant, si l'on considère que le français doit devenir, comme tant d'autres matières, utilitariste. Mais je doute que les futurs étudiants passés au crible d'un tel formatage soient plus tard en mesure de lire un conte de Perrault à leur gosse pour les endormir, ou aient le réflexe de prendre leur Montaigne pour y puiser cette morale du bon sens.
Il faudra voir comment les choses évoluent. Je pense qu'il est idiot de se braquer immédiatement pour des choses qui ne sont pas encore certaines, mais il y a également des terrains sur lesquels il ne doit pas être question de négocier. La culture en fait partie, pour qu'il n' y ait plus besoin que l'on pense à notre place.

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Commentaires
C
Arf, cet IPR vient de découvrir la lune!<br /> Proust disait déjà que les beaux livres sont comme une langue étrangère. Il me plait de penser que les textes littéraires ont à la fois le charme de l'époque dans laquelle ils se situent et des idées intemporelles.<br /> La perspective historique qui est évoquée est amusante... quand on aura des anthologies claires et non des patchworks superposés qui rend aussi bien les élèves et les profs capricieux, on verra ce que ce la donne. La génération du Lagarde et Michard (le gros mot est lâché) n'a que peu confondu les auteurs au niveau chronologique... en tout cas au collège. Ce fut le cas de certains de mes élèves, les parents les avaient et les feuilletaient avec eux, sans être bons élèves, on pouvait avoir des discussions très intéressantes avec renvoi aux pages (les éditions successives avaient gardé la même pagination). Maintenant, je connais peu de mes profs qui n'aient pas fait de contextualisation. Ce fut surtout à la fac que certains considéraient comme "acquis" les idées véhiculées par chaque siècle.<br /> <br /> Rendre la Littérature sexy par l'histoire des idées? Pourquoi pas... mais encore une fois, faire du français un réservoir fourre-tout de littérature-linguistique- machin énonciatif-triturage de drosophiles et consort pour intersser les élèves, je crois plutôt qu'il est temps de définir un projet social plus large et pas que citoyen.
A
"On enseigne la littérature française comme si c'était une langue morte."<br /> <br /> Je trouve que c'est rendre un magnifique hommage aux langues "mortes", car nous autres, profs de lettres classiques, les rendons plus vivantes qu'elles ne l'ont jamais été !!!<br /> <br /> Une littérature française dynamique, plein de punch, d'activités ludiques, variées mais toujours pédagogiques et soucieuses de transmettre ce message !<br /> <br /> Merci Julien !
E
Pourquoi voudrais tu qu'ils situent correctement Diderot puisqu'ils ne savent pas si la Renaissance est avant l'époque des Lumières et si celle-ci est avant la révolution russe ?<br /> @k-ro : il me semble qu'en Histoire les programmes ont déjà la prétention d'être des cours de civilisation. Et quand on voit le niveau général de l'Américain moyen...<br /> Prof de culture générale ? Pourquoi de la culture générale puisque visiblement il est question de supprimer l'épreuve de culture générale ( visiblement trop compliquée) aux concours d'entrée dans la fonction publique pour les remplacer par des épreuves de bon sens...
J
Encore que nous n'aurions pas tellement à nous plaindre: je préfère encore enseigner l'histoire des idées, qui me paraît d'ailleurs bien plus riche que la littérature qui n'en est qu'un corollaire finalement, que faire des synthèses de documents et autres résumés de textes.<br /> Nous nous rapprocherions ainsi des sciences dures: le français ne serait plus une matière batarde parce que non évaluable sur des critères objectifs (ce qui, il faut bien l'avouer, n'est pas entièrement faux, cf la célèbre constante macabre par exemple) mais un pur exercice de rhétorique.
J
Encore que nous n'aurions pas tellement à nous plaindre: je préfère encore enseigner l'histoire des idées, qui me paraît d'ailleurs bien plus riche que la littérature qui n'en est qu'un corollaire finalement, que faire des synthèses de documents et autres résumés de textes.<br /> Nous nous rapprocherions ainsi des sciences dures: le français ne serait plus une matière batarde parce que non évaluable sur des critères objectifs (ce qui, il faut bien l'avouer, n'est pas entièrement faux, cf la célèbre constante macabre par exemple) mais un pur exercice de rhétorique.
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