"On enseigne la littérature française comme si c'était une langue morte."
Pour le coup, je dirais que c'est la réflexion la plus pertinente de l'année.
Elle sort de la bouche d'un IPR d'éco de l'académie de Paris, qui a fait mercredi une petite intervention sur le thème de la réforme du lycée. Autant dire qu'il arrivait en terrain hostile ! Un type très bien d'ailleurs, spécialisé dans l'orientation et webmaster de ce site: http:///conseilsdeclasse.letudiant.fr
Bref. C'est en évoquant l'enseignement des lettres et les sérieux remaniements que la réforme allait y amener qu'il a dit cette phrase qui, malgré la part de provocation qu'elle contient, est assez représentative de l'attitude de nos chères têtes blondes par rapport aux textes qu'on leur fait étudier.
Durant les rares cours de latin que j'ai suivis, les profs faisaient systématiquement une recontextualisation historique du texte que l'on s'apprêtait à traduire, parce que dans mon ignorance, et il faut bien parler d'ignorance crasse à ce sujet, hein, les distinctions entre les différentes périodes de l'histoire romaine me sont complètement étrangères. Alors certes, c'est relativement inacceptable de la part d'un futur prof de lettres que de mettre dans un même panier Virgile, Cicéron, César, Horace et Plaute, comme étant des auteurs latins, point barre. Pour un latiniste, cela est aussi aberrant que d'aborder Montaigne et Vian comme s'ils étaient contemporains. A la différence près que le latin est une langue morte, figée, considérée comme à travers les vitres d'un musée.
Et force est de constater que pour mes élèves, c'est un peu la même chose. Les différences de période, de siècle, de mouvement...les laissent à peu près indifférents: tous les auteurs sont considérés en synchronie, sans prendre en compte l'épaisseur de la poussière qui les recouvre. Il n'est pas choquant, pour eux, de situer Diderot à la Renaissance ou Montaigne en pleine querelle des anciens et des modernes. Et je me suis aperçu aussi que je ne tenais pas assez compte de ce manque de perspective. Je ne vais pas parler de bêtise ou d'ignorance, sobriquets dont on affuble si facilement les élèves maintenant, mais l'explication vient surtout, et je me plante peut-être, de la perte de matérialité des choses. Tout devenant virtuel, l'histoire, et par conséquent l'Histoire, n'ont plus aucune épaisseur: les événements d'hier n'ont plus d'incidence sur les événements d'aujourd'hui, comme si les pages se rafraîchissaient d'elles-même au fur et à mesure que l'on saute les générations.
D'ailleurs, ce passage de la diachronie à la synchronie ne fait que se confirmer lorsqu'on aperçoit un peu ce qui se profile à l'horizon concernant l'enseignement du français. Il faut encore bien distinguer les chimères de ce qui sera effectivement, mais il y a fort à parier que notre travail sera bien plus technique, dans le mauvais sens du terme, que littéraire: synthèses, résumés, études d'articles de presse...Bref, quelque chose me dit que nous deviendrons plus des profs de culture générale que des profs de français. "Et cela est-il aberrant ? ", disait l'intervenant. Non, certes, cela n'est pas aberrant, si l'on considère que le français doit devenir, comme tant d'autres matières, utilitariste. Mais je doute que les futurs étudiants passés au crible d'un tel formatage soient plus tard en mesure de lire un conte de Perrault à leur gosse pour les endormir, ou aient le réflexe de prendre leur Montaigne pour y puiser cette morale du bon sens.
Il faudra voir comment les choses évoluent. Je pense qu'il est idiot de se braquer immédiatement pour des choses qui ne sont pas encore certaines, mais il y a également des terrains sur lesquels il ne doit pas être question de négocier. La culture en fait partie, pour qu'il n' y ait plus besoin que l'on pense à notre place.