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12 mars 2013

Du cheveu blanc

Mes cheveux et moi avons toujours entretenu des rapports complexes. Comme les plus grandes histoires d'amour, les sentiments ont toujours oscillé entre la haine et l'adoration ; et comme il se doit les conseils avisés de divers amis m'ont permis de m'affranchir de certaines étapes difficiles. Plus jeunes, je les avais longs, en dépit des moqueries de mes camarades et néanmoins proches dont les avertissements, du plus sensé (« attention, à ne pas les couper tu les perdras prématurément », comme disait Jerem) au plus caustique (« tiens, les cheveux que tu avais devant, tu les as collés derrière ? », me demanda Yannick »).
Bref. J'adore mes amis.
Ce qui est sûr, avec le recul, c'est qu'ils m'ont servi de protection symbolique, de rempart adolescent contre la vie d'homme qui se profilait. Ce n'est pas pour rien si je les ai définitivement fait raser (ce fut au magasin « Cheap » de Perpignan, de glorieuse mémoire, pour 29 euros) l'été qui précéda ma première année en tant que vrai enseignant. Et depuis, plus de cheveux, ou quelques millimètres réglementaires, avec une petite barbe de trois jours, ou trois semaines selon la disponibilité de mon rasoir. Après tout, c'est pratique, économique, je n'ai plus chaud l'été sous mes tropiques du Sud.

 

Et ce matin, en me rasant pour la première fois depuis une quinzaine de jours, je L'ai aperçu, ce salopard. Insidieusement niché au dessus de mon oreille gauche. Assez discret pour qu'on ne le remarque pas immédiatement, mais suffisamment pervers pour que je ne voie plus que lui. Le premier cheveu blanc que je remarquai de moi-même, pour de vrai. On me l'avais déjà dit, par ailleurs : « ah tiens, un cheveu blanc, pour une fois que tu en as, hein, c'est ballot ! », et autres joyeusetés qui me font rire, car rire de soi est l'une des plus importantes choses à faire, je crois.
Mais là, celui-là, il m'a marqué. Comme quoi certaines journées peuvent être porteuses de sens. Ca ne tient qu'à un cheveu, défois. Toute une suite d'images sont venus se télescoper. La rassurante litanie qui susurre que « les cheveux poivre et sel, c'est sexy », tout d'abord. Ce à quoi je répliquerais volontiers que celles qui disent ça devraient plutôt réfléchir à leur rapport avec Pôpa avant d’ânonner des inepties pareilles, et que les hommes qui se plient à de tels diktats sont ridicules : la maturité, c'est dans la tête, pas dessus. Oui, restons nuancés. Les cheveux poivre et sel, ça rend con, c'est comme le Nespresso.

george_clooney

 

Puis m'est revenue une photo que j'avais oubliée et vue la semaine dernière, une photo de moi tout bébé, et qui m'a laissé pensif. Ca fait bizarre, de tomber sur une photo de soi tout petit car j'ai eu l'impression que ce petit garçon tout mignon, c'était pas moi. Ca me rappelle une magnifique page de Nabokov, qui commente un film tourné quelques mois avant sa naissance et où il dit avoir été horrifié par la vue de son futur berceau, vide, et qu'il compare à un cercueil. C'est dans les premières pages de Speak Memory, je crois. Entre ce bébé et le futur vieil homme que je deviendrai vite, très vite, est ce cheveu blanc qui me rappelle une fois de plus, et ô combien dans ces périodes charnières, que les choses passent très vite, changent tout le temps, très vite et que vouloir leur donner une forme arrêtée est insensé. D'ailleurs, nous vivons dans un monde qui ne s'arrête pas, qui encourage avec de plus en plus de facilité le changement, le déplacement, la mouvance. Je lisais tout à l'heure Mamdame de Sévigné (pas pour le plaisir, hein, PERSONNE ne lit Madame de Sévigné pour le plaisir !) qui conseillait à sa fille: "ne suivez point mon exemple, ni celui du monde qui suit le temps et change comme lui. Soyez constante". Comme quoi, c'était déjà le cas, au moins en 1671. Bien sûr, c'est rassurant de de vouloir "être constant", se définir. Mais cela est vain : j'aimais telle chose, ce n'est plus le cas ; j'avais un nom que je ne porterai peut-être plus ; j'étais blond, avant et j'avais des cheveux, avant. Quand je vois des personnes, parfois très proches, qui par peur du changement restent figés dans leurs fonctionnements, j'éprouve le même sentiment que Vladimir à la vue de son berceau. C'est la mort qui nous rendra tous d'accord, d'ici là rien ne garde une forme constante et arrêtée, et tant mieux.

 

Et ce cheveu blanc, je le garde, et j'en suis fier.

 

 

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