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21 août 2008

Mea Culpa

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Je souffre d'un symptôme assez inquiétant pour un prof de français. Honte à moi, je vais annoncer ma décrépitude au monde entier: il est extrêmement rare, ami lecteur, que je finisse un livre.
Oui, en effet, c'est très rare que j'en dépasse les deux tiers. Qu'il s'agisse de poésie, de théatre, de prose, de romans ou d'autobiographies, j'interromps très souvent la lecture avant la fin. Ce n'est pas de la paresse: je lis assez vite, et ce n'est pas une activité désagréable. Ce n'est pas non plus de l'ennui à cause de la qualité du livre: je pense le plus grand bien de plein de livres que je n'ai même pas terminé (Coriolan, Un Roi sans Divertissement, Mort à Crédit, l'Emile, Jane Eyre, la Recherche...). Pas de la flemme, pas de la surcharge de choses à lire à côté...Je crois, après y avoir pas mal réfléchi, qu'il s'agit simplement d'une espèce de lassitude qui s'installe une fois que j'ai repéré le fonctionnement d'un texte, après avoir compris dans quel sens tourne la grosse machine qui sous-tend l'agencement des pages, des paragraphes, des phrases et des mots. Finalement, l'intrigue ne m'intéresse que peu. Avec le temps, et sans doute est-ce grâce au nombre incalculable d'explications que j'ai faites/écoutées) je suis devenu bien plus sensible à tout ce que les élèves jugent secondaire: la cadence, les rythmes, les sonorités, le rendu plastique...J'en viens très souvent, et je crois que c'est cela qui vient justifier mon désinteressement de la littérature pure, à considérer une oeuvre littéraire comme une partition. Chaque lecture, en réactualisant la manière d'aborder le code dérisoire permettant d'accéder à la musique du texte, donne à l'oeuvre une extension dans le temps, dans l'espace et dans l'émotion. Une fois que ce fonctionnement est compris, que j'ai senti vers quoi l'auteur tendait, une lassitude me prend, au point de ne plus avoir envie de finir le bouquin. Presque par contrecoup, le fait de le finir n'est pas nécessairement gage d'une quelconque excellence. Je termine un livre souvent sans m'en apercevoir.

Et s'il y a un auteur chez qui ce processus de musicalité joue à plein, c'est bien Julien Gracq. J'ai eu, pendant très longtemps, une réaction de rejet, après avoir lu La Presqu'île. Je trouvais ça chiant, mais je me mentais. Ce n'est pas chiant du tout, mais il faut sentir la machine tourner, il faut saisir le mouvement qui fait ronronner les phrases de Gracq, et c'est baucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Au fur et à mesure que les mois s'écoulaient, j'ai, petit à petit, commencé à comprendre ce qu'il en était, jusqu'à ce qu'Un Balcon en Forêt devienne un de mes romans préférés. Et aujourd'hui, alors que je me débattais sur ma traduction de Steinbeck, j'ai eu envie de commencer le Rivage des Syrtes, je suis donc allé le chercher pour le commencer. Et bien m'en a pris parce que je me suis régalé. A la page 40, je sais à peine de quoi il s'agit, et à la rigueur je m'en moque. En revanche, ce qui me fait frémir à chaque page, c'est la construction des phrases, ce sont les sonorités, le rythme, l'amplitude de cette écriture trempée dans la pluie, les forêts noires et le brouillard. Les paysages et les ambiances de Gracq me correspondent beaucoup: le froid, les pluies de novembre, la pluie, la solitude...Et j'ai compris, en refermant le livre au bout d'un moment (car ce n'est pas le genre de bouquin qu'il faut lire en deux jours, il faut le temps de s'imprégner et de se laisser submerger) que, malgré les autres choses qui me tiennent désormais bien plus à coeur, j'aimais encore la littérature.

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Commentaires
S
Je trouve ton attitude encourageante et digne de quelqu'un qui, au contraire, adore la littérature. Parce que pour moi, la littérature c'est ça : une écriture, une musique, et non un thème, un sujet. Quand il y a les deux, c'est l'extase absolue.
J
"Je crois, après y avoir pas mal réfléchi, qu'il s'agit simplement d'une epspèce de lassitude qui s'installe une fois que j'ai repéré le fonctionnement d'un texte, après avoir compris dans quel sens tourne la grosse machine qui sous-tend l'agencement des pages, des paragraphes, des phrases et des mots. "<br /> <br /> Donc en gros, tu sous-estimes le pouvoir du créateur à justement ne pas finir son oeuvre comme tu penses que le livre va finir, ou de changer cette 'petite musique' que tu as remarquée... tss tss tss...
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