Non, il n'y a pas de faute.
Le terme est d'actualité en ce moment, je l'entends partout. A la radio, sur les affiches, dans les conversations entre amis ("Alors, t'as commencé tes deux mois de vacances ?" )... On est le premier juillet, le lundi premier juillet et je suis en vacances, depuis vendredi où j'ai terminé la correction des copies généralement creuses et indigentes (mais comment leur en vouloir, en même temps, sur des questions aussi pauvres) qui m'avaient été confiées.
En fait, la question n'est pas tant d'être en train de buller sur une plage, d'assister à des concerts, de crapahuter dans un village grec ou de flâner dans le Grand Bazar d'Istanbul. Etre en vacances c'est n'être pas là. Absent, chaise vide devant une classe qui l'est tout autant. Les élèves ne sont pas là, mon bureau est vacant. D'ailleurs, c'est un lieu commun qu'il est toujours bon de répéter en tant que bon prof gauchiste que je suis, on n'est pas payé durant cette période de vacance. Non non, c'est notre salaire qui est réparti de dix mois sur douze mois. En fait, pas d'élèves, pas de prof, c'est du chômage technique.
Technique, comme ce terme "vacance" qui sonne de manière si mate et claquante aux oreilles. A la base, nous apprend le merveilleux dictionnaire historique, le terme désigne une qualité, une dignité à pourvoir. Une chaise vide. C'est toujours le cas, d'ailleurs. Quand j'ai demandé ma mutation l'an passé, j'ai dû déclarer mon poste dans mon collège de montagne comme étant "vacant" et postuler à mon établissement banlieusard qui proposait un poste vacant, lui aussi. Chaises musicales.
Mais dans cette langue française de commère qui conserve tant de traces de son passé laborieux, industrieux, le fait de ne pas être à sa place est mauvais signe, synonyme d'abandon, de relâchement. Comme dans cette nouvelle de Daudet où le sous-préfet faisait des vers, absence rime avec oisiveté.
De là vient sans doute le discrédit tenace qui pèse dans l'imaginaire collectif sur les Vacances, mot devenu pluriel. Avec tous les excès qui lui sont attachés. En vacances on se lâche, de la même manière qu'on se tend au travail. On se couche tard, on se lève tôt, on picole davantage, on sort, on voyage... On consomme sans produire. Ecoutez quelques minutes n'importe quelle radio, baladez-vous dans n'importe quelle grande surface, vous constaterez la condescendance commerciale de ceux qui continuent de travailler pour nourrir ceux qui n'ont plus rien à faire. Ces mêmes personnes qu'on désigne par une absence. Un vacancier c'est une ombre, une chaise vide, un déserteur. C'est assez effrayant, quand on y pense, d'être défini par son absence. Métaphore in absentia. On a l'autorisation de devenir quelqu'un d'autre, de montrer une part de soi inhabituelle. Carna vale, Ricard, marcel et pétanque.
Reste la séduction de pouvoir user de son temps comme on le souhaite, comme dans ce merveilleux, ce magnifique récit où Julien Gracq place son héros au milieu d'une forêt des Ardennes pour surveiller, en pleine guerre, un refuge oublié. Grange voit s'ouvrir à lui une "plage de vacance".
J'ai quelques orientations pour cette période, moi aussi. Des dates, des lieux où il me faudra être là. Un tas de livres que je devrai avoir lus, relus et fichés assez rigoureusement, la première partie du Concerto Italien à terminer pour de bon, des envies de rupture de style et de registre, quelques improvisations. Mais pas de ce relâchement carnavalesque qui rend l'été si répugnant par moments. Celui-là, en fait, m'angoisse et me rappelle à quel point nous conservons cet instinct grégaire, cette peur de nous-même qui nous fait suivre notre semblable dans les pires configurations. Faire comme tout le monde, jusque dans la danse, par exemple, où tout le monde doit faire la même, savants pas et chorégraphies uniformes.
En bref, ce sont les vacances.