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Blog de littérature
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8 mars 2011

Des ronds et des carrés

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Sans doute est-ce ce qu'il y a de plus frustrant dans les rapports humains, ce fait que l'on ne peut forcer des carrés à rentrer dans des ronds. Comme ces jeux pour gosses dans lesquels le bambin s'échine à faire entrer une pièce rectangulaire dans une base ronde, ou inversement, jusqu'à ce qu'un adulte tragiquement bien intentionné lui donne la bonne pièce avec un regard attendri et compatissant. Il serait d'ailleurs intéressant à cet égard de faire une métaphysique des jouets pour bébés, on y trouverait à mon avis bien plus qu'un simple effet de mode ou de gros sous. Idée à retenir.
Soit, revenons à nos moutons. Il nous arrive souvent de se dire, ou de dire, que tel ou tel est con, ne comprend rien, va droit dans le mur... Au mieux, cela nous fait rire ou nous agace; au pire nous en sommes une victime, et l'agacement se mue en souffrance et en colère. Mais dans la mesure, postulat inaliénable, où la seule chose que nous sommes en mesure de changer, c'est nous-même et notre regard sur la chose, pourquoi se mettre dans des états pareils ? Nous savons que nous devons changer et nous adapter, nous le voulons bien mais nous ne nous y plions pas. L'étymologie est magnifique: ex-plicare, c'est déplier. Nous déplions le comportement de l'autre, nous déplions nos propres réactions, mais nous ne nous plions pas à ce que cela entraîne. Autrement dit, nous sortons de nous-même sans pouvoir y rentrer.
Tout cela est profond et met en jeu des pressions qui débordent largement le domaine du logos. Vouloir que l'autre fasse ce que l'on aimerait, c'est partir du principe que nous pensons le bien à la fois pour lui et pour nous; c'est aussi lui attribuer une capacité de changement qu'il n'a pas nécessairement, ou qu'il ne souhaite pas solliciter. Autrement dit, je n'aime plus l'autre pour ce qu'il est, mais pour ce que j'aimerais qu'il devienne, pour ce que je pense être bon pour lui. Aimer pourrait revenir à vouloir faire entrer un rond dans un carré, et s'apercevoir que l'autre ne veut/peut pas entrer dans le moule qu'on lui a concocté provoque, de manière très puérile finalement, la colère du bébé qui ne comprend pas pourquoi le truc ne rentre pas dans le machin. Passée la colère viennent les arguments: pourquoi ne comprend-il pas, par a+b, qu'il va droit dans un mur, qu'il est malheureux, que le choix qu'il fait ne peut pas être le bon...pour en venir à l'acceptation, puis au deuil et au fait de se tourner vers autre chose.

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Cela dans le meilleur des cas. Nous avons tous connu des gens autour de nous qui buggent, comme disent les élèves, qui se plaignent toujours du même truc, qui clament haut et fort le fait que le problème est insoluble et qu'ils en sont la victime, et ce parfois depuis des années. Sur le forum que je modère se trouvent plusieurs personnes comme ça: il ne se passe pas un pour sans qu'elles viennent chouiner sur le comportement de leur chef ou sur leur prétendue incapacité à "remonter la pente"... en bref, c'est toujours le bébé qui parle et qui ne comprend pas que le truc ne collera pas avec le machin, ce qui donne des personnes qui attendent que l'extérieur se plie à leur volonté. L'extérieur, quelque soit la forme sous laquelle il se manifeste (travail, amis, amour... c'est du pareil au même, on n'a que ce qu'on mérite), ne se changera pas, c'est à nous de devenir roseau au lieu de se borner à être un chêne, et notre regard sur les choses changeant, changent les choses, et ce toujours selon la bonne configuration, ou du moins selon celle que nous avons cherchée.
Cela prend du temps et de l'énergie, mais vaut la peine d'être vécu.

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1 mars 2011

Pourquoi tu dis ça ?

 

Pour une fois qu'un sujet de bac contient à la fois une question intelligente et de beaux textes, il eût été dommage que je n'en profitasse pas. Vu hier avec un élève un sujet blanc, la comparaison de deux scènes classiques: la discussion entre Tartuffe et Elmire au moment où Orgon est caché pour les écouter, la fameuse scène du jus de réglisse; et les retrouvailles de Junie et Britannicus dans le palais de Néron, alors que l'empereur, ayant enlevé de force la princesse, les écoute. Un passage magnifique.
C'est bien vu, l'idée de comparer ces deux scènes. Ca paraît évident quand on les lit, mais je n'y aurais pas pensé. Dans les deux cas, une femme veut dire, ou faire dire, quelque chose à une homme sans être libre de ses paroles: elle est écoutée, qu'elle le veuille (Elmire) ou non (Junie), ce qui les oblige toutes les deux à avoir recours à un double langage: je parle et tu m'écoutes, mais je ne peux pas te dire tout ce que je voudrais te dire, je sais que tu ne sais pas et que tu n'as pas toutes les cartes en main pour savoir. Ou pour paraphraser le bel article de La Meuf, "semblant de ne pas savoir qu’il nous regarde à ce moment précis. Semblant de ne pas savoir qu’il sait qu’on le regarde. Semblant de ne pas savoir qu’on sait qu’il vient juste de passer derrière nous". Comme si finalement, toute communication importante devrait être faite en demi-teinte, en contre-jour, derrière un paravent figuré, en demi-discours. 


Ne serait-ce pas, finalement, le principe d'un blog ? Régulièrement, quand je tiens cet espace virtuel à jour (depuis quelques années déjà, même s'il y a de nombreuses absences et beaucoup d'articles pourris à élaguer), je reçois des mails, des textos ou des remarques. "Tu pensais à moi en écrivant ça ?",  "C'est un message subliminal ?"... Oui, peut-être, mais pas nécessairement. Inutile de revenir dans un contresaintebeuvisme stérile pour préciser que les sujets qui me viennent sont nécessairement irrigués par les situations de tous les jours, par les confidences des amis, les petites anecdotes que j'entends... Et en plus de fournir un bon baromètre du moral et d'entretenir un peu mes petites qualités rédactionnelles, ce blog me permet de dire indirectement des choses que je ne dirais pas directement. Plus ça va, plus je dis les choses, sans agressivité mais sans crainte non plus, de sorte que les destinataires sont parfois surpris, mais toujours au pied du mur. C'est joli, finalement, de dire les choses et de les laisser nous traverser. Le blog permet aussi cela: un retour, un contrepoint, il apporte un côté plus posé, même si defois il y a des choses dont j'aimerais parler mais que je n'ose pas évoquer pour ne pas blesser ou vexer les susceptibilités de certains. Certains messages agaçants donnent même envie de le fermer, par moments, parce que la même réserve que l'on trouve dans la vie se retrouvent sur la toile: ne pas dire telle chose parce que telle personne n'est pas au courant ou ne doit pas le savoir, ou pas tout de suite et pas par cet intermédiaire.
Et bien tant pis, 
avant de venir chouiner, n'oubliez pas qu'ici chez Jules, comme Junie dans le palais de Néron, "vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance".

 

 

 

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