Pourquoi tu dis ça ?
Pour une fois qu'un sujet de bac contient à la fois une question intelligente et de beaux textes, il eût été dommage que je n'en profitasse pas. Vu hier avec un élève un sujet blanc, la comparaison de deux scènes classiques: la discussion entre Tartuffe et Elmire au moment où Orgon est caché pour les écouter, la fameuse scène du jus de réglisse; et les retrouvailles de Junie et Britannicus dans le palais de Néron, alors que l'empereur, ayant enlevé de force la princesse, les écoute. Un passage magnifique. C'est bien vu, l'idée de comparer ces deux scènes. Ca paraît évident quand on les lit, mais je n'y aurais pas pensé. Dans les deux cas, une femme veut dire, ou faire dire, quelque chose à une homme sans être libre de ses paroles: elle est écoutée, qu'elle le veuille (Elmire) ou non (Junie), ce qui les oblige toutes les deux à avoir recours à un double langage: je parle et tu m'écoutes, mais je ne peux pas te dire tout ce que je voudrais te dire, je sais que tu ne sais pas et que tu n'as pas toutes les cartes en main pour savoir. Ou pour paraphraser le bel article de La Meuf, "semblant de ne pas savoir qu’il nous regarde à ce moment précis. Semblant de ne pas savoir qu’il sait qu’on le regarde. Semblant de ne pas savoir qu’on sait qu’il vient juste de passer derrière nous". Comme si finalement, toute communication importante devrait être faite en demi-teinte, en contre-jour, derrière un paravent figuré, en demi-discours.
Ne serait-ce pas, finalement, le principe d'un blog ? Régulièrement, quand je tiens cet espace virtuel à jour (depuis quelques années déjà, même s'il y a de nombreuses absences et beaucoup d'articles pourris à élaguer), je reçois des mails, des textos ou des remarques. "Tu pensais à moi en écrivant ça ?", "C'est un message subliminal ?"... Oui, peut-être, mais pas nécessairement. Inutile de revenir dans un contresaintebeuvisme stérile pour préciser que les sujets qui me viennent sont nécessairement irrigués par les situations de tous les jours, par les confidences des amis, les petites anecdotes que j'entends... Et en plus de fournir un bon baromètre du moral et d'entretenir un peu mes petites qualités rédactionnelles, ce blog me permet de dire indirectement des choses que je ne dirais pas directement. Plus ça va, plus je dis les choses, sans agressivité mais sans crainte non plus, de sorte que les destinataires sont parfois surpris, mais toujours au pied du mur. C'est joli, finalement, de dire les choses et de les laisser nous traverser. Le blog permet aussi cela: un retour, un contrepoint, il apporte un côté plus posé, même si defois il y a des choses dont j'aimerais parler mais que je n'ose pas évoquer pour ne pas blesser ou vexer les susceptibilités de certains. Certains messages agaçants donnent même envie de le fermer, par moments, parce que la même réserve que l'on trouve dans la vie se retrouvent sur la toile: ne pas dire telle chose parce que telle personne n'est pas au courant ou ne doit pas le savoir, ou pas tout de suite et pas par cet intermédiaire.
Et bien tant pis, avant de venir chouiner, n'oubliez pas qu'ici chez Jules, comme Junie dans le palais de Néron, "vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance".