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Blog de littérature

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1 mars 2011

Pourquoi tu dis ça ?

 

Pour une fois qu'un sujet de bac contient à la fois une question intelligente et de beaux textes, il eût été dommage que je n'en profitasse pas. Vu hier avec un élève un sujet blanc, la comparaison de deux scènes classiques: la discussion entre Tartuffe et Elmire au moment où Orgon est caché pour les écouter, la fameuse scène du jus de réglisse; et les retrouvailles de Junie et Britannicus dans le palais de Néron, alors que l'empereur, ayant enlevé de force la princesse, les écoute. Un passage magnifique.
C'est bien vu, l'idée de comparer ces deux scènes. Ca paraît évident quand on les lit, mais je n'y aurais pas pensé. Dans les deux cas, une femme veut dire, ou faire dire, quelque chose à une homme sans être libre de ses paroles: elle est écoutée, qu'elle le veuille (Elmire) ou non (Junie), ce qui les oblige toutes les deux à avoir recours à un double langage: je parle et tu m'écoutes, mais je ne peux pas te dire tout ce que je voudrais te dire, je sais que tu ne sais pas et que tu n'as pas toutes les cartes en main pour savoir. Ou pour paraphraser le bel article de La Meuf, "semblant de ne pas savoir qu’il nous regarde à ce moment précis. Semblant de ne pas savoir qu’il sait qu’on le regarde. Semblant de ne pas savoir qu’on sait qu’il vient juste de passer derrière nous". Comme si finalement, toute communication importante devrait être faite en demi-teinte, en contre-jour, derrière un paravent figuré, en demi-discours. 


Ne serait-ce pas, finalement, le principe d'un blog ? Régulièrement, quand je tiens cet espace virtuel à jour (depuis quelques années déjà, même s'il y a de nombreuses absences et beaucoup d'articles pourris à élaguer), je reçois des mails, des textos ou des remarques. "Tu pensais à moi en écrivant ça ?",  "C'est un message subliminal ?"... Oui, peut-être, mais pas nécessairement. Inutile de revenir dans un contresaintebeuvisme stérile pour préciser que les sujets qui me viennent sont nécessairement irrigués par les situations de tous les jours, par les confidences des amis, les petites anecdotes que j'entends... Et en plus de fournir un bon baromètre du moral et d'entretenir un peu mes petites qualités rédactionnelles, ce blog me permet de dire indirectement des choses que je ne dirais pas directement. Plus ça va, plus je dis les choses, sans agressivité mais sans crainte non plus, de sorte que les destinataires sont parfois surpris, mais toujours au pied du mur. C'est joli, finalement, de dire les choses et de les laisser nous traverser. Le blog permet aussi cela: un retour, un contrepoint, il apporte un côté plus posé, même si defois il y a des choses dont j'aimerais parler mais que je n'ose pas évoquer pour ne pas blesser ou vexer les susceptibilités de certains. Certains messages agaçants donnent même envie de le fermer, par moments, parce que la même réserve que l'on trouve dans la vie se retrouvent sur la toile: ne pas dire telle chose parce que telle personne n'est pas au courant ou ne doit pas le savoir, ou pas tout de suite et pas par cet intermédiaire.
Et bien tant pis, 
avant de venir chouiner, n'oubliez pas qu'ici chez Jules, comme Junie dans le palais de Néron, "vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance".

 

 

 

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25 février 2011

Divagations célibattantes.

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Le théâtre est un genre qui ne m'a jamais attiré. Vraiment, et ce n'est pas faute d'avoir essayé, je n'ai jamais réussi à être vraiment scotché par une pièce. Rares sont celles, mêmes, dont la structure ne m'ennuie pas. Car quitte à voir/lire une oeuvre qui a pour prétention d'être mimétique d'une action réelle (sans entrer dans les verbiages lettro-interprétatifs), je préfère autant les vivre, ces interactions réelles. C'est sûrement pour cela que Racine et Molière me sont les plus chers des dramaturges: j'aime la majestuosité de leur vers, la puissance rhétorique, mais de loin, comme de magnifiques pièces à détacher d'un ensemble, et non comme la mise en papier d'une action transposable. Le verbe, uniquement.
Et plus j'observe mes contemporains avec l'oeil du célibataire, plus je m'aperçois à quel point le couple est une entité à la fois amusante et inquiétante, un système, quasiment au sens philosophique du terme. Une sphère composée de deux éléments imbriqués, qui fait rebond contre le monde extérieur et qui se nourrit d'elle-même.

Il y en a différents types, bien entendu, mais le principe varie peu. Variation sur un même thème: on cherche chez l'autre ce dont on manque chez soi, en somme. Une personne manquant d'assurance cherchera quelqu'un qui la protège, et ainsi de suite. Sans doute est ce pour cela que l'on croise tant de gens bien casés avec de sombres connards/asses. Finalement, c'est ça: on se rassure et on entretient son petit complexe, jusqu'à jouer un rôle, une sorte de psychodrame dans lequel chacun tient la part qui lui est dévolue, le couple tenant tant que les deux acceptent de tenir sa part du contrat. Il peut, bien sûr, y avoir négociation implicite, les rôles devenant alors fluctuants, changeants, mais finalement on passe de l'un à l'autre, d'une configuration A à une configuration B. Telle amie me confiait récemment le désarroi et l'impuissance de celle qui n'arrive pas à sortir son compagnon de sa déprime, ce qui provoquait chez elle un terrible sentiment de vide, dans la mesure où elle voit son rôle remis en question sans le comprendre; une autre connaissance a préféré rester avec son compagnon par faiblesse, confort et lâcheté, par manque de courage, préférant se contenter de peu plutôt que de prendre ses cliques et ses claques pour partir;  une dame récemment, proche de la retraite, me remerciait d'avoir "pris soin" de son mari alors que je n'avais rien fait de particulier, le mari en question n'ayant besoin de personne pour prendre soin de lui; et une amie me conseillait de me faire un petit nid "pour que quelqu'un vienne s'y nicher"...
Finalement, l'autre, de par sa capacité à souligner en creux ce qui fait mal (dans la mesure où on cherche à caler sa bosse contre son creux, et inversement) est une formidable machine à travailler sur soi. Appuyer là où ça fait mal, c'est le meilleur moyen d'avancer, finalement, mais au lieu de ça on s'entretient dans un système dans lequel on entretient sa névrose, on reproduit le même schéma transformable à l'infini mais qui marche sur le même principe. Qui se ressemble s'assemble, ou les opposés s'attirent, finalement ça revient au même: on s'entretient dans un schéma. C'est du théâtre.
Je ne fais pas le malin: c'est à la fois en observant les autres et en faisant un bilan rétrospectif de mes diverses relations amoureuses que je m'aperçois de cela. Et j'ai beau commencer à le comprendre, malgré moi j'aurais tendance à rechercher chez une Autre mon creux et ma bosse pour former notre sphère, avec une partenaire quasi-interchangeable.
Peut-être sert-il à cela, le célibat. A devenir sphérique. 

 

4 janvier 2011

Champs de ruine

Oui, les champs de ruine, de guerre, plus précisément, ces longues étendues terreuses frappées par la guerre, solitudes décharnées qui se remettent à peine de l'orgasme belliqueux qui les a transformées en cartographies improbables.
J'aime à me balader sur ces champs frappés par la mort. Les monticules de terre soulevés, par ici un obus, là une tranchée défoncée, contiennent en germe des ambitions, des rêves, des haines, des espoirs déçus et insoupçonnés.
Ci-gît, les mains arrachées par tel impact, un jeune soldat qui aurait aimé jouer l'intégralité des suites anglaises au lieu de perdre stupidement la vie, emporté qu'il fut par une cause qu'il n'avait pas comprise et qu'il n'aurait pas cautionnée. Là se trouve un livre, déchiré bien évidemment, à l'instar de son propriétaire. L'oeuvre est tellement abîmée qu'il est difficile d'en déchiffrer le titre et que je dois me baisser pour regarder cela de plus près. Annoté, écorné, maintes fois ouvert, lu, relu, je finis par distinguer la
Chartreuse de Parme sur la page de garde. "Etrange mise en abyme",me dis-je en me remémorant le sixième chapitre des aventures de Fabrice avant de laisser retomber le roman, que je connais par coeur moi aussi. 
Finalement, cette étendue perdue au milieu de nulle part mais marquée au fer noir de la violence est assez représentatif de notre condition humaine. Un ensemble de trous et de bosses, monticules en plein et en creux. Trop de ceci, pas assez de cela; comme trop d'espoir d'un côté mais un manque de courage de l'autre. Ce qui donne l'inaction, le manque, la mort.
Un trou, en particulier, me retient. S'en dégage encore une douce fumée qui n'a pas l'âcreté de la poudre. Nulle verdure, nul chant comme le souhaitait le jeune adolescent, mais un trou doux et accueillant comme un ventre, ventre avorté n'accueillant rien, terre vidée là pour une cause qui ne sera pas fécondée. Féminité en jachère, n'y a t-il pas symbole plus poignant de l'inutilité ?
La vie aussi se charge de nous trop-remplir de ceci, de nous vider de cela. Quel est le moyen de transformer ce champ de ruines et d'exploiter cette terre grasse et fertile, y a t-il la possibilité d'en faire germer un champ d'orangers, des lys dressés et ouverts comme ces tombeaux à ciel ouvert ?
Et comment le savoir ? 

3 janvier 2011

You talkin' to me ?!

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Il est stupéfiant de constater à quel point un mot laissé sur un blog peut prendre comme proportions. Suite au billet déposé avant-hier, pas moins de trois personnes, furieuses, m'ont contacté directement ou indirectement pour me dire d'aller me faire foutre et qu'il était "triste", "décevant" ou "bas" de venir "régler ses comptes" de manière complètement virtuelle...
Cela me rassure sur un point, au moins: ce blog est toujours visité; et si j'écrivais comme un chat je n'aurais pas eu de réaction aussi épidermique.
Reste maintenant, avant d'aller bosser, à synthétiser une réponse à peu près cohérente et claire. 

Si j'avais eu des comptes à régler ad hominem, et si l'occasion m'eût été donnée de le faire, je l'aurais fait, clairement. Manier le sarcasme voilé et indirect, parler à demi-mot et m'en "régler mes comptes" de manière détournée ne fait pas partie de mes habitudes. Il se trouve que l'exemple que j'ai pris a été une goutte d'eau qui a provoqué l'écriture de ce billet, lequel était moins destiné à la personne en question qu'à une tendance malheureuse que je constate de plus en plus: l'indécision. Montaigne avait l'intelligence de citer l'exemple de personnes disparues. N'ayant pas cette culture, je m'abreuve au râtelier que je trouve, celui de mon entourage.
Ensuite, poser  son point de vue sur un objet, même s'il est malvenu de le faire en ces temps où tout et n'importe quoi est permis (ça me rappelle la discussion sur l'art entre Aschenbach et je ne sais plus qui, dans
Mort à Venise) à l'exception d'avoir un avis tranché sur une question (le fameux jugement !), permet au moins à l'autre, aux autres, de se positionner. C'est une des raisons pour lesquelles le jeu d'échec est aussi fascinant: en déplaçant ses pièces, l'autre est obligé de faire valoir son point de vue, de réagir. Là, pour le coup, mes pions sont disposés, et je n'ai aucune envie de quitter la partie. Au moins ça bouge, dans un sens ou dans l'autre tout en sachant 1/qu'il n'y a pas de mauvais sens, et que 2/rien n'est pire que l'immobilisme.
Enfin, quand un animal est blessé, il mord. Nous l'avons tous expérimenté, hélas. Donc même si les réactions sont mauvaises, il y a au moins réaction, ce qui prouve que j'ai fait mouche sans forcément le chercher. Par conséquent, au lieu de chercher quelqu'un qui a tort et quelqu'un qui a raison, il serait plus intelligent, me semble t-il, de discuter directement et de manière posée au lieu de se lancer dans une joute oratoire virtuelle. Cela ne sert à rien. 

2 janvier 2011

Tu veux ou tu veux pas ?

balance

Lequel d'entre nous peut se targuer d'avoir lu la Bible en entier, in extenso ?
Certainement pas moi, qui suis un piètre chrétien mais un vrai, je l'espère, lettreux. Je ne l'ai pas lue de la Genèse à l'Apocalypse directement, mais par morceaux, et probablement dans son intégralité, ou peu s'en faut. Et depuis quelques jours me revient, c'est assez rare pour être signalé, un passage de l'Apocalypse, devenu dans une certaine mesure un proverbe: "
Dieu vomit les tièdes".
Recontextualisons:"Je connais tes oeuvres. Je sais que tu n'es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être froid ou bouillant ! Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n'es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche." (Ap. , 3, 15-16). Une parole parmi les plus intransigeantes qu'il soit donné de lire, à mon avis, car en prenant le temps d'y réfléchir, de la "mascher", comme dirait Michel, cette parole, je vois que cette injonction implicite me frappe parce que je suis un tiède par excellence. Nous le sommes tous, mais tous nous avons tort.
Ca veut dire quoi, être tiède ? Les proverbes ont cela d'amusant qu'ils pourraient exister par couples antinomiques. A celui qui vomit les tièdes pourrait être associé celui qui ménage la chèvre et le chou, celui qui fait acte de tempérance, de moyen terme, de négociation. Le tiède pourrait être celui ou celle qui, faute d'hésiter, ne fait rien, ou choisit mollement, de manière indécise, regrettant déjà le choix qu'il vient de faire en sachant malgré tout qu'il/elle aurait aussi regretté l'autre alternative s'il/elle l'avait choisie. Et après tout, "c'est compliqué."
Ne nous demande t-on pas tous les jours d'être tiède ? Plus le temps passe, et les quelques années qui m'ont été données sont bien peu nombreuses pour avoir une vue intelligente, mais dans un monde qui nous offre le beurre et l'argent du beurre, n'avons-nous pas tendance nous aussi à vouloir jeter, dans nos choix, le bébé avec l'eau du bain ? 
Etre froid ou bouillant. Quelle belle image pour désigner celui qui sait ce qu'il veut et qui assumera ses choix ! Cela implique énormément de choses, et de conséquences. Ou plutôt, non, cela n'en implique qu'une, justement, et l'unicité est quelque chose qui effraie les gens. Choisir, c'est renoncer. Et plus ça va, plus je m'aperçois de cette indolence naturelle qui me pousse à ne pas choisir de peur d'avoir à renoncer. Du coup je ne choisis pas, je ne renonce pas, et forcément je ne fais rien. Alors prendre conscience d'un travers est un premier pas dans sa correction, et si cette année 2010 fut tellement marquée par de grandes nouvelles, tant bonnes que mauvaises, s'il est possible que ces deux mots veuillent bien dire quelque chose, c'est justement parce que 1/ Je m'efforce d'être froid ou bouillant; et 2/ Je récolte, par réaction, ce que j'ai semé.

J'y arrive, enfin, un exemple parmi tant d'autres: on m'a récemment reproché d'avoir "jugé" une situation (ou plutôt non, une personne, alors que je parlais d'une situation. Remarque intéressante), alors que je me contentais de donner mon avis dessus. Avis qui était certes affirmatif, ou plutôt négatif en l'occurence, mais qui situait bien le fond de ma pensée. J'oublie de préciser qu'on ne me l'avait pas demandé, cet avis, mais que la personne en question venait de me faire un état des lieux, si je puis dire, d'une histoire que je ne connaissais, hélas, que trop bien, alors que rien ne la forçait à le faire. Je me suis donc senti obligé de dire ce que j'en pensais. Dire ce que l'on pense, est-ce juger ? Je pense que telle chose est bonne, ou telle autre mauvaise, vue dans le ridicule oeil-de-boeuf embrumé que l'on appelle conscience, tellement éloigné de la totalité du problème que l'interlocutrice avait eu la bonté de soumettre à ma sagacité, et répondre cela, de manière argumentée par l'embrumée sus-dite conscience a été jugé inconvenant dans la mesure où je "jugeais". Dire, c'est juger. Préférer un café à un thé, c'est juger que de l'eau chaude trempée dans de la mauvaise herbe est quelque chose de dégueulasse; dire "là, d'après les données que j'en ai, à mon sens tu vas droit dans un mur" c'est aussi juger, oui forcément.
Oui. Et ?

Tous se passe aujourd'hui comme si la tiédeur était un postulat des relations humaines. Le terme plus exact qu'aurait pu employer ma courroucée interlocutrice eût pu être "tu penses", verbe dont la magnifique étymologie renvoie, si mes souvenirs sont bons, au verbe "peser", dont il est un dérivé savant. Penser, c'est peser le pour et le contre. Et cela, apparemment, dans la tiédeur qui nous environne, semble ne pas être de bon ton. De sorte que nécessairement, celui qui nous demande le froid ou le bouillant déstabilise (ne marche-t-on pas par déséquilibre ?) parce qu'il oblige à franchir un Rubicon, et qu'il pourrait être difficile de bénéficier du pack, du forfait, du beurre et de l'argent du beurre. La fuite, je m'en aperçois, est la solution la plus communément admise. Cela est désagréable dans la mesure où si la question nous tient à coeur, cela nous oblige à réitérer notre demande, une seconde fois, à reformuler, à nuancer, à préciser, puis à discutailler, à procrastiner, à aigrir et à s'exaspérer alors qu'un simple OUI ou NON aurait suffi. Les mauvaises raisons sont aussi des réponses fréquentes, celles auxquelles on a envie de dire "aaah, oui d'accord, mais ce n'est pas du tout, mais alors absolument pas du tout cela que je te demandais !" Une variante, finalement.
Alors que faire ? Accepter les gens comme ils sont, avec leurs peurs et leurs incertitudes tout en ayant le courage de dire "stop" si cela parasite la communication;  s'accepter tel que l'on est avec nos points noirs, nos coups de flip et les terrains sur lesquels on se sent carrément boueux. Et vomir les tièdes une fois après les avoir pris en bouche et jugé de leur train.
Portez vous bien les gens, merci d'avoir suivi jusqu'au bout cette logorrhée cathartique. Consolez vous avec une belle représentation de balance, bien équilibrée pour le coup.

 

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31 décembre 2010

Bilan des opérations

Ca y est, 2010 vit ses dernières heures. D'ici un (petit) moment nous serons rentrés dans une nouvelle année, une nouvelle décennie aussi. Je n'irais quand même pas jusqu'à dire qu'elle est pasée rapidement, mais elle compte parmi les plus déterminantes pour moi, dans la mesure où elle fut la plus transitoire entre les années d'adolescence et l'âge d'homme, si tant est qu'on l'atteigne un jour.
Qu'étais-je en Décembre 1999 ?
Je préparais le bac, un bac L option maths, j'étais dans un petit lycée, dans une petite classe avec laquelle je m'entendais relativement bien, j'ai d'ailleurs gardé de solides contacts avec quelques unes d'entre elles (oui, forcément, ce n'étaient que des filles), pas nécessairement celles avec qui je m'entendais le mieux, par ailleurs. Un lycéen classique, finalement. Un peu timide, assez mal dans sa peau, manquant de confiance en lui. Comme la plupart des adolescents que je croise quotidiennement.
J'avais rencontré mon premier amour aussi, depuis quelques mois. Elle s'appelait Célia, et elle devait me quitter un an et demi plus tard, me faisant vivre ma première grosse déprime. Je n'ai plus que des contacts lointains avec elle, même si c'est une personne que je continue d'apprécier énormément.
Je venais de rater mon permis, pour la première fois. J'étais dégoûté, et je ne me doutais pas qu'il me faudrait encore plus d'un an avant de l'avoir, et qu'entre-temps, ce serait le permis moto que j'obtiendrais.
Je ne savais pas exactement quoi faire de mes études ni de ma vie professionnelle. On m'avait parlé, à plusieurs reprises, de faire une classe préparatoire, ce que j'ai eu la sottise de refuser, impressionné que je fus par la masse de travail. Un de mes plus gros regrets, l'une des rares choses que je ne referais pas.

Et les années ont passé, avec leur lot de joies, de bonnes nouvelles, de rires, de larmes, de rencontres décisives et celles dont on se serait finalement bien passé. La plupart des choix cruciaux, finalement, se sont presque imposés malgré moi. Pourquoi une fac de lettres, par exemple ? Je ne saurais, sincèrement, le dire précisément.  
Maintenant, me voilà prof, et adulte. Un grand garçon en devenir. Bien entendu, il y a encore plein de points noirs, de peurs, de tristesses, de questions non résolues, de points sur lesquels je reste crispé. Quelques regrets aussi, des décisions qu'il aurait peut-être fallu prendre, des dossiers à traiter frontalement au lieu de les remettre systématiquement au lendemain. Mais dans l'ensemble, je reste assez content de ce que je suis devenu, le bilan aurait pu être bien pire. Plus ça va, et plus je vois de personnes qui restent sur le bord de la route, d'une manière ou d'une autre. Tellement de personnes ont été et sont toujours si importants dans l'aiguillage de ma vie. Les recenser serait une gageure.
Les voeux pour l'année 2011 et pour cette décennie ? Je ne sais pas vraiment. Rester, ou continuer de devenir, de plus en plus cohérent vis-à-vis de ce que je veux et ne veux pas, savoir dire ma vérité quand cela me semble important sans pour autant me braquer dessus, être là pour mes proches quand ils en auront besoin, accepter les choses qui arrivent, les plus belles comme les plus tragiques, avec le plus de tempérance possible, continuer éternellement d'apprendre, apporter de la joie autour de moi, vivre de telle sorte que ma mort ne soit une bonne nouvelle pour personne.

Le reste est silence.
A l'année prochaine ! 

30 décembre 2010

Ce mol oreiller

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Voilà près de deux mois que je n'ai pas mis à jour ce blog, cela commence à faire, alors que je m'étais promis d'être plus régulier et plus cohérent dans l'avancée de ce "travail".
Certes, le boulot me prend beaucoup de temps. Et le soir, après une journée de collège, je n'ai pas trop la tête à chercher une idée accrocheuse et pertinente à développer à l'attention du rare public qui me fait le plaisir de lire ces lignes.
Bien entendu, sans faire étalage de ma vie privée, les dernières semaines ont été marquées par une séparation, qui s'est certes faite avec douceur et intelligence, mais il s'agit quand même de quelque chose d'important qui prend du temps et de l'énergie, dans tous les sens du terme: énergie matérielle, énergie émotionnelle, énergie pour arrondir les angles, pour maintenir les choses dans une cohérence... Ce n'est pas évident, d'autant plus que je n'ai pas été célibataire depuis plus de neuf ans. Ce sont des balises à trouver, des fonctionnements à acquérir.
Il est vrai que le niveau scolaire des élèves qui m'ont été confiés est extrêmement bas. Plus ça va, et plus je m'écarte du discours néo-conservateur, du "c'était mieux avant", que j'avais pris l'habitude de clamer; de telle sorte qu'il n'est pas nécessaire de travailler énormément pour leur apporter de la matière

Qui veut faire quelque chose trouve un moyen; qui ne veut rien faire trouve une excuse. Et des excuses, je pourrais en trouver à la pelle pour justifier l'inexactitude de ce que mon ami François me disait hier soir: à ne rien faire, on s'encroûte, on perd les quelques rares qualités que la nature a eu la bonté de nous dispenser. Et je mesure, une fois la mauvaise foi reléguée au placard, à quel point il avait raison et tout ce que j'ai pu perdre en l'espace de quelques mois:

- En acuité d'écriture, je trouve mes phrases lourdes et pataudes, elles viennent avec peine, s'enchaînent sans grâce et difficilement...
- En curiosité intellectuelle, les sites de littérature, de musique, les magazines culturels devenant de plus en plus rares à la maison. De plus en plus, je me demande quoi lire

- En rigueur dans mon boulot, me contentant d'à peu près, de gros plans esquissés à la hâte... Mes cours ne sont pas nuls, les élèves en tirent toujours du savoir, mais je m'aperçois qu'ils n'en tirent
que cela, alors qu'un bon cours doit avant tout susciter la Curiosité.

- En renouvellement d'acquis: j'ai l'impression d'oublier plein de trucs, de ne pas relire assez mes classiques ou mes gros cours de grammaire. J'hésite sur certains trucs qui ne m'auraient posé aucun problème il y a ne serait-ce que deux ans. Même peur par moments des questions d'élèves, alors que jusque là elles ne me posaient pas problème. Non que j'avais réponse à tout, loin de là, mais j'ai presque la flemme, maintenant, de chercher la réponse !

Autant être clair: je m'empâte, je me conforte dans la paresse, et je procrastine, comme dirait mon ami John, je perds mon temps avec des choses sans intérêt. Il faut voir le verre à moitié plein, ceci dit: une lecture stimulante m'accaparera aussi intensément que par le passé, et les bons réflexes reviennent très vite, il suffit de peu de choses pour que les connections se refassent aussi rapidement... mais il y a du travail, et j'ai du temps. On arrive toujours trop tard, et tout est déjà fait, comme disait l'autre.
Donc se fixer, la nouvelle année arrivant est un point de départ on ne peut plus symbolique, des objectifs intelligents: me remettre à écrire, et sur un vrai support (autre chose que ce blog); me remettre à la lecture de classiques; me tenir à plus de rigueur dans mes cours pour qu'ils redeviennent encore plus intéressants et retrouver cette sensation délicieuse d'une classe suspendue à vos lèvres, non parce que vous dites quelque chose de formidable mais parce qu'ils sentent (et en quoi ils ne sont pas plus bêtes que nous l'étions) que ce qu'on leur raconte passionne celui qui le raconte, et que donc cela doit revêtir un certain intérêt...
Voilà quelques chantiers à entamer, et ce dès aujourd'hui. 

 

25 octobre 2010

Câlin du matin

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16 octobre 2010

Séquence Citation


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Oui, inaugurons un nouveau moyen de relancer la matière grise de mes chers lecteurs, avec un efficace moyen, aussi protocoscolaire soit-il: régulièrement, une citation sera soumise à notre sagacité. C'est sympa, le principe des citations, car il oblige à recourir à beaucoup de choses: la recontextualisation de ce qui est dit, dans la mesure où nous avons toujours une vague idée générale sur l'auteur; et la décontextualisation amenant souvent le contresens productif, puisque sortie de son contexte, le morceau analysé nécessite, telle une bouture, d'être implanté dans un substrat conséquent. Finalement, on peut faire signifier une chose et son contraire à une citation. ce n'est pas Montaigne qui nous dira le contraire, lui qui a pompé sans vergogne et avec intelligence dans les trésors latins en partant du principe qu'il ne reconnaissait plus le passage comme étant d'un autre puisqu'il avait été digéré par ses soins (je n'ai plus le passage en tête, et la flemme de le chercher là maintenant...).
Ouvrons donc ce rituel avec une phrase que j'ai encadrée à côté de mon bureau, de telle sorte que je ne puisse pas la rater quand je travaille:

 

"On n'enseigne bien que ce que l'on cherche, non ce que l'on sait"

 

Cette phrase est d'un mec que j'adore, Gilles Deleuze. je l'ai lu assez tardivement, lui. Je ne pense pas que j 'aurais pu l'aborder plus jeune, de toute façon, dans la mesure où sa lecture demande, je trouve, un certain recul, une amorce de culture générale. Il est assez difficile à lire, de surcroit. Son écriture est presque mimétique de sa pensée: passant du coq à l'âne sans lien apparent, complexe, établissant une foultitude de liens entre les choses, les notions, les auteurs... Des textes d'une intelligence folle, vraiment. Une intelligence folle. C'est exactement ça.
Elle est très concrète, cette phrase, et pourrait (aurait pu) être inscrite au frontispice de feu les IUFM. Voilà comment je la comprends et comment elle conditionne aussi une manière d'enseigner: il est rassurant pour tout le monde de transmettre, et de recevoir, des concepts qu'une longue tradition scolaire/universitaire a déjà balisé, clarifié, planifié, corseté même, comme ces splendeurs d'antan que l'on étouffait et cachait sous les corps sages. A la limite, tout le monde est habitué à ce qu'on pourrait appeler les "pactes d'enseignement", comme les universitaires ont parlé de "pacte de lecture". Si ce n'est qu'il y a toujours un "petit 3", dans la plupart des manuels que je lis, dans lesquels on range les "cas à part", les choses particulières et "autres emplois." Cela est d'autant plus mesurable que l'on nous demande parfois d'enseigner des choses d'une complexité abyssale, sous le voile candide du corsetage scolaire. C'est un peu comme si l'on faisait visiter un terrain bien propre, avec de jolis balisages, en disant de temps en temps "bon, là faites gaffe, vous avez un gouffre insondable, vous n'aurez qu'à faire attention. Mais ne vous inquiétez pas, hein."
A la limite, cela est assez représentatif sur la méthode contemporaine d'appréhension des connaissances, et de la vie en général: clarifier, planifier, donner des plans, des cases, des rangements. Une pensée IKEA (dont le slogan, rappelons-le, est  « Affordable solutions for better living »...) , certes rassurante et fonctionnelle, mais qui ne rend justement pas compte de ce qui est intéressant: les choses qu'on ne capte pas, ou mal.
Enseigner, me dit Gilles tous les matins, c'est certes donner ces fameux cadres, inculquer la notion, mais c'est surtout montrer ce gouffre, dire pourquoi parfois, on n'en sait rien, ou pourquoi parfois on touche des cas-limites. Proposer des explications, des hypothèses... Faire preuve d'humilité, finalement, au lieu de se cantonner au carcan des phrases types des manuels. Montrer une pensée qui agit, qui questionne, qui est vivante et dont les ramifications intellectuelles sont infinies, une hydre de Lerne. Et non exhiber
une pensée Power Point, une pensée morte, figée par des cadres de grantun-grandeuh.

On n'enseigne bien que ce que l'on cherche, non ce que l'on sait.

 

12 octobre 2010

Prenons le temps de lire une page de Proust

 

proust

" Il monta avec elle dans la voiture qu'elle avait et dit à la sienne de suivre.

Elle tenait à la main un bouquet de catleyas et Swann vit, sous sa fanchon de dentelle, qu'elle avait dans les cheveux des fleurs de cette même orchidée attachées à une aigrette en plumes de cygnes. Elle était habillée sous sa mantille, d'un flot de velours noir qui, par un rattrapé oblique, découvrait en un large triangle le bas d'une jupe de faille blanche et laissait voir un empiècement, également de faille blanche, à l'ouverture du corsage décolleté, où étaient enfoncées d'autres fleurs de catleyas. Elle était à peine remise de la frayeur que Swann lui avait causée quand un obstacle fit faire un écart au cheval. Ils furent vivement déplacés, elle avait jeté un cri et restait toute palpitante, sans respiration.

– Ce n'est rien, lui dit-il, n'ayez pas peur.

Et il la tenait par l'épaule, l'appuyant contre lui pour la maintenir ; puis il lui dit :

– Surtout, ne me parlez pas, ne me répondez que par signes pour ne pas vous essouffler encore davantage. Cela ne vous gêne pas que je remette droites les fleurs de votre corsage qui ont été déplacées par le choc. J'ai peur que vous ne les perdiez, je voudrais les enfoncer un peu.

Elle, qui n'avait pas été habituée à voir les hommes faire tant de façons avec elle, dit en souriant :

– Non, pas du tout, ça ne me gêne pas.

Mais lui, intimidé par sa réponse, peut-être aussi pour avoir l'air d'avoir été sincère quand il avait pris ce prétexte, ou même, commençant déjà à croire qu'il l'avait été, s'écria :

– Oh ! non, surtout, ne parlez pas, vous allez encore vous essouffler, vous pouvez bien me répondre par gestes, je vous comprendrai bien. Sincèrement je ne vous gêne pas ? Voyez, il y a un peu... je pense que c'est du pollen qui s'est répandu sur vous ; vous permettez que je l'essuie avec ma main ? Je ne vais pas trop fort, je ne suis pas trop brutal ? Je vous chatouille peut-être un peu ? mais c'est que je ne voudrais pas toucher le velours de la robe pour ne pas le friper. Mais, voyez-vous, il était vraiment nécessaire de les fixer, ils seraient tombés ; et comme cela, en les enfonçant un peu moi-même... Sérieusement, je ne vous suis pas désagréable ? Et en les respirant pour voir s'ils n'ont vraiment pas d'odeur non plus ? Je n'en ai jamais senti, je peux ? dites la vérité ?

Souriant, elle haussa légèrement les épaules, comme pour dire « vous êtes fou, vous voyez bien que ça me plaît ».

Il élevait son autre main le long de la joue d'Odette ; elle le regarda fixement, de l'air languissant et grave qu'ont les femmes du maître florentin avec lesquelles il lui avait trouvé de la ressemblance ; amenés au bord des paupières, ses yeux brillants, larges et minces, comme les leurs, semblaient prêts à se détacher ainsi que deux larmes. Elle fléchissait le cou comme on leur voit faire à toutes, dans les scènes païennes comme dans les tableaux religieux. Et, en une attitude qui sans doute lui était habituelle, qu'elle savait convenable à ces moments-là et qu'elle faisait attention à ne pas oublier de prendre, elle semblait avoir besoin de toute sa force pour retenir son visage, comme si une force invisible l'eût attiré vers Swann. Et ce fut Swann, qui, avant qu'elle le laissât tomber, comme malgré elle, sur ses lèvres, le retint un instant, à quelque distance, entre ses deux mains. Il avait voulu laisser à sa pensée le temps d'accourir, de reconnaître le rêve qu'elle avait si longtemps caressé et d'assister à sa réalisation, comme une parente qu'on appelle pour prendre sa part du succès d'un enfant qu'elle a beaucoup aimé. Peut-être aussi Swann attachait-il sur ce visage d'Odette non encore possédée, ni même encore embrassée par lui, qu'il voyait pour la dernière fois, ce regard avec lequel, un jour de départ, on voudrait emporter un paysage qu'on va quitter pour toujours. "


"Un amour de Swann", folio, pp. 230-232

 

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