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26 juin 2013

Le rire de Dédale

Thésée sait.
Thésée sait bien au fond de lui que ce silence est anormal. Un silence de crypte blanche et bleue, chaude chaux aux relents de chair. Depuis des semaines il passe de salle en salle, de couloir en couloir, accordant le soir un peu de répit à son corps épuisé pour un tête-à-tête avec ses aïeux étoilés, morts, eux aussi, depuis des années. Il les supplie, leur demande le sens de ce voyage immobile. Mais ils le laissaient seul, sans réponse.


Il est entré dans ce labyrinthe plein de vigueur et d'espérance. La Crète serait bientôt délivrée grâce à lui, le Minotaure ne serait qu'un sanglant souvenir que les vieux raconteraient le soir à la veillée à de jeunes gens condescendants d'ivresse. Ariane était belle avec ses grands yeux vert et son sourire de lune, elle l'admirerait quand il reviendrait triomphant avec les armes de son père, celles du divin Egée. Ils partiraient loin du bruit et de la fureur. Pas une fois ce Héros n'avait hésité, mû par l'hubris de la jeunesse.

labyrinthe

 


Il croyait le sang, il pensait combats et blessures, épée trempée qui s'enfonçait dans le beurre. Mais rien de tout cela. L'épée était restée dans son fourreau, son bouclier lui pesait de plus en plus. Il n'avait vu que des cadavres morts de faim qui s'étaient laissé périr ici le front implorant le ciel. Nulle trace de lutte en eux, nulle trace de dents, pas de carnage. Une mort lente et douloureuse sous l'impitoyable regard d'Hélios. Il n'y avait pas de Minotaure. Les hurlements qu'évoquaient les légendes étaient ceux de ces pauvres gens arrachés à l'insolence de leur jeunesse. Depuis longtemps la pelote de fil était terminée, et Thésée l'avait abandonnée. Ariane devait être partie vers d'autres bals maintenant, vers d'autres héros, il était seul avec lui-même à chercher un monstre n'existant que dans les légendes. Minos avait menti, le sourire sardonique qu'il n'avait pu retenir en acceptant sa requête revenait à l'esprit du jeune Athénien. En le laissant faire ses preuves, le roi l'avait envoyé vers celui qu'il ne saurait jamais vaincre : lui-même, et les abandons dont il avait été victime.
Egée était parti, abandonnant sous un caillou le maigre héritage qui lui faisait maintenant si mal ; Aethra n'était qu'un nom, un souffle auquel il ne parvenait pas à donner la consistance d'une mère. Corynétès, Sinis, Phea, Cercyon, Procuste...Autant de monstres dont il avait débarrassé sa Grèce pour qu'on le reconnaisse. En les tuant il voulait renaître. En s'unissant à Périgouné il avait voulu laisser sa trace. Périgouné était partie, emportant leur fils. Toujours le poursuivait cette sensation d'être de trop, d'être seul au monde à chercher un ennemi protéiforme.
Ariane. Elle, avait accepté sa majestueuse détresse, avait voulu l'aider. Pour elle il était entré dans ce labyrinthe maudit dont il comprenait maintenant l'inanité. Jamais il n'en sortirait, se bornant à chercher un ennemi absent. La seule ombre à sa puissance était lui-même, Thésée était seul à devoir combattre sa propre violence.
Rassemblant ses forces, Thésée monta sur une petite terrasse et regarda les alentours, ébloui par la violence d'Hélios. Ni centre, ni périphérie. Des murs blancs, blancs à perte de vue, de tous les côtés. Nulle montagne, pas de mer, pas d'Ariane.

Il se déshabilla, nu comme au jour de sa naissance.
Il prit l'épée de son père et se l'enfonça dans le ventre. Ses derniers regards furent tournés vers le soleil.

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