Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Blog de littérature
Publicité
Blog de littérature
Archives
Newsletter
26 mai 2013

L'antichambre

Depuis un mois et demi environ, je vais voir une femme. Souvent le soir, à la tombée de la nuit, une femme vers laquelle j'ai été orienté par une autre femme. Il ne saurait en être autrement, étant donné la répulsion que j'éprouve envers les hommes et leur crasse vulgarité.
Elle travaille dans le quatorzième, en plein Paris, pas loin de Montparnasse, dans un immeuble à l'intérieur d'une jolie résidence donnant sur une cour. La galère pour se garer, un dédale de rues à sens unique avec de petites places déjà prises. La prochaine fois j'irai en moto. Comme elle me l'a dit quand je lui objectais pluie, périphérique bondé et dangers de la route, « on ne meurt que quand on a fini son temps, pas avant. » Phrase choquante à bien des égards, mais qui me donne espoir.
Son appartement de travail, que je répugne à appeler « cabinet » bien que l'image de déversoir à merde qui y est associée serait plus adaptée, est au premier étage. Arrivant en avance, j'attends, installé dans le petit fauteuil devant la porte, et je réfléchis, à ce que je vais raconter, à ce qui s'est passé depuis la dernière fois, aux raisons qui m'ont amené ici. Une antichambre, espace préliminaire et indistinct. Mi-privé, mi-public dans lequel la lumière ne s'allume que si l'on appuie dessus. Ne bougeant pas on a la sensation de faire partie des murs, d'être avalé par le bâtiment. De devenir pierre, mauvaise pierre parisienne.

Je parle avec cette dame, une vieille dame qui a des airs de Mamy amérindienne. Je lui raconte des trucs, je décharge dans l'intimité de son salon toutes les choses qui me font souffrir. La douleur que je ressens, mon manque de confiance en moi, les erreurs que je reproduis, la chape de plomb qui m'empêche depuis des temps enfouis de vivre les émotions de manière authentique, les couvrant d'un voile de verbes.

Et on parle, trois quarts d'heure toutes les deux semaines. On parle, on dévide les écheveaux pour remettre en ordre les pelotes mélangées, pour retrouver une orientation qui me rendra meilleur. C'est son métier : aider les gens qui souffrent. Je n'aurais jamais cru un jour me tourner vers ce genre de personne. D'une part je ne méritais pas de prendre soin de moi. Et pourquoi écouter mes jérémiades ? Les problèmes, on se les crée, on doit savoir les régler. Non ? Enfin, ça me coûte un bras et il y a plein de choses plus urgentes. Le bien-être, on verra plus tard !
Comme quoi, il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis. Je me sentais tellement mal à un moment donné qu'il a fallu admettre que j'avais besoin d'une explication. Pour être aussi spontané que celle qui partage ma vie, pour savoir rire et quitter ce masque de tristesse dont je ne me départis jamais, pour savoir réagir aux souffrances et joies des autres sans m'en protéger, pour tendre à la sérénité.

Ce n'est pas simple de se mettre à nu devant une inconnue. Je crois que je ne pouvais pas faire autrement. J'ai pleuré, dès la première fois, et depuis je craque, je vibre, plein de choses se passent dans mon ventre. C'est paradoxalement apaisant de se dire qu'il y a encore tout un mécanisme opérationnel insoupçonné. J'ai envie de pleurer par moments, défois je gueule et je balance comme hier un grand coup de pied dans un ordinateur défaillant. Je prends conscience de mon corps, de mes désirs, de mes colères, par soubresauts. Un peu comme la vieille AX que j'avais achetée une bouchée de pain et remise en route il y a quelques années. Elle refuse de bouger, pétarade, fume blanc, gris, noir, et elle a fini par partir. Elle doit encore rouler.
J'en suis là. Je. Je. Je. Il est à la fois moi et des milliers d'autres humains et animaux hurlant dans les entrailles de la terre qui me relie à eux, il est aimable infiniment, terriblement haïssable. Je pétarade mais ça va venir, il faut juste ne pas oublier dans le pic de tristesse qui m'a envahi toute la journée que je suis vivant, vivant et humain dans un monde qui changera de forme jusqu'à la mort. On aura la mort, l'éternité pour être raisonnable et conforté dans les certitudes.

Publicité
Publicité
20 mai 2013

Oeufs de clés

Samedi après-midi, en plein Paris, en plein Marais.

Un quartier qu'il n'affectionnait pas particulièrement, mais la pluie martelant la toile de son pauvre parapluie l'avait poussé dans ce café. Pardon, ce salon de thé. Ca ne se fait plus, les cafés, « salon de thé » c'est bien plus vendeur surtout dans ces endroits bobos qu'elle affectionnait tant. Bouffer des pâtisseries gorgées de sucreries en débitant des banalités pseudo-littéraires avec un air contrit, voilà ce qu'il lui avait fallu faire pour la séduire. Ca avait marché, remarque. Mais maintenant elle était partie, il ne la voyait plus qu'aux transactions, lorsqu'il récupérait Mélanie. Il appelait ça les transactions : en bas de l'immeuble, son enfant descendait, et il la confiait, au retour, au grand ascenseur sinistre. Otis assurait la transition ronronnante entre les deux mondes. Elle descendait pour aller vers son père, et montait jusque chez sa mère. Sa fille était belle, son ex-femme grossissait et s'aigrissait à la fois. Une amphore fielleuse.

Mais bon, tout ça c'est du passé, s'était-il dit en pénétrant dans l'immense pièce sombrement bariolée, le temps de sécher et d'attendre la fin de l'averse. Tout ce qu'il détestait : des affiches au mur, des canapés partout dans lesquels se vautraient de sombres crétins dédaigneux se rengorgeant silencieusement de se trouver dans « le plus bel endroit d'la ville »... Et Elle, au centre du cirque. Dans une robe rouge et blanche qui l'offrait aux regards, elle était le centre de ce tableau improvisé, le point d'orgue qui rattrapait par son seul éclat de rire la médiocrité de cet endroit crasseux. Il s'aperçut alors que toute la salle la lorgnait. Elle était en pleine conversation avec quelqu'un caché par un poteau et qu'il ne pouvait donc pas voir. Une pierre volcanique dans son écrin de tissu, au beau milieu de ce dépotoir de la pensée. Il l'avait voulue.

Le reste était allé très vite. Un renseignement bidon. Un sourire. Un téléphone. Un coup de fil. Un restaurant. et il avait pu l'effeuiller chez elle. Elle était ouverte, spontanée, naturelle, drôle et futile. Elle aimait le thé et la musique klezmer. Un gâteau au miel, un vrai. Rachel. Même son prénom était une gourmandise et de miel il avait enduit sa nouvelle maîtresse qui n'avait pas cillé en dévoilant pour lui son corps de déesse. Tout en elle était espace. L'espace de son rire qui déflorait les lieux qu'elle pénétrait. L'espace de son corps qui n'était que grâce, l'espace de ses seins, de son ventre, de ses jambes. Le moindre de ses mouvements emplissait un vide, donnait un sens au monde. Elle en concentrait l'origine par ses cheveux noirs, ses yeux verts et sa peau mate, en elle s'exprimaient les terres ocres et arides des plaines d'Israël qu'elle n'avait pourtant jamais foulées. Elle attirait l'univers à elle, comme ces trous noirs dont rêvent les physiciens. Un commencement et une fin. Lui se laissait bercer par cet amour infini, tout en restant intimidé face à une telle sensualité. Il se noyait dans ses bras, vidait en elle sans retenue ces sept années de sécheresse et elle ne semblait pas s'en apercevoir. Rachel était Autre, l'altérité faite femme, une aisance insolente qui le laissait pantelant. Elle s'était donnée à lui sans retenue. A son contact, David apprenait des mots nouveaux dont il ne connaissait pas vraiment la signification, mais ces sonorités lui plaisaient, le confortaient dans son amour. Khoutspè, mameloushem, schmalts... mélopée incompréhensible dont il n'arrivait pas à se repaître.

 

Bilan positif, donc, pensait-il en regardant la pluie tomber. La vie était belle, Mélanie barbotait dans son bain, il avait passé l'après-midi à faire des aller-retour entre chez lui et la déchetterie. Rachailes avait évaporé la rancœur qui l'habitait depuis le départ de l'autre. Il avait donc consacré le week-end à trier et jeter ce qu'il n'avait plus envie de garder. Ses fringues ridiculement trop petites pour elle, Ses livres culcul. Leur vaisselle. Leurs albums-photo. Il avait auparavant pris soin d'acheter plein de clés USB. Des rouges, des jaunes, des vertes, des violettes, des bleues, et il y avait scanné tout ce qui n'était pas Rachel. Les photos, les papiers officiels, ses cours de fac, ses correspondances amoureuses...Tout était là, sauvegardé. Trente-cinq ans d'une vie remplie de vies jetées dans des containers rouillés. Il avait écouté le vacarme que faisait son passé en tombant contre les parois. Un assourdissant mélange de sons selon qu'il s'agissait d'un vélo ou d'un carton. Symphonie à la mémoire de trente révolutions, en fa majeur, avec pour unique public un employé municipal hébété en costume jaune fluo.

IMG_1697

 

Une fois ces mémoires pleines, il les avait rangées dans un petit œuf qui lui restait du repas de noces. Encore une de ses lubies qui leur avait coûté un bras. Les décorations du mariage contenaient maintenant les reliques de sa vie. Cet œuf trônait sur son bureau, du moins il y était la dernière fois qu'il y était entré. Il n'y était plus d'ailleurs, étrange. Sans doute le poussin multicolore avait éclos. Un poussin de pixels multicolores qui serait parti chanter les louanges de son concepteur David. Il irait nourrir ce coq qui tous les matins réveillerait l'appartement d'un jingle électronique. Il sourit à cette idée.

Mélanie l'appelait. Sans doute elle avait fini son bain et voulait une serviette. Il fallait faire vite s'ils ne voulaient pas rater la séance de ciné. Il l'amènerait au Mac Do ensuite, elle adorait ça, c'était leur rituel de début de mois. Il aimait bien la voir manger son sandwich, et en plus son ex-femme se mettait en rogne quand elle l'apprenait. Coup double. Coup triple quand elle apprendrait l'arrivée de Rachel dans quelques mois.

 

Mélanie ne voulait pas de serviette, elle s'amusait comme une petite folle : « Papa, c'était un œuf de grenouille dans le salon, plein de petits têtards de toutes les couleurs, viens voir ! »

18 mai 2013

Quand je serai grand...

...puisqu'une voix bienveillante m'a récemment confié qu' "on ne meurt que lorsqu'on a fini son temps", nous ne cessons jamais de passer. De la chrysalide au papillon, du fils au père, d'amour en amour, de désir en désir. Rien ne s'arrête jamais jusqu'au coup d'arrêt éternel. D'ici là, plein de belles choses à faire, en voici donc une liste non exhaustive, évidemment, sur le modèle d'un billet que j'aime bien.

Quand je serai grand en dix points, donc:

Je crèverai ces bouées qui m'entourent

Je cesserai de réfléchir et d'agir tout le temps en fonction des autres.

Je boirai un thé à la menthe sur le port de Byblos.

Je serai agrégé.

Je saurai jouer la cinquième Suite Anglaise.

Je dirai ce que je pense, en sachant m'énerver pour de vrai.

Les autres ne seront plus loin.

Je serai un super papa.

Je ne dirai plus "il faut trop qu'on se fasse...". On fera.

J'écrirai ce roman qui tourne dans mon ventre, qui me tord les tripes.


 

 

 

12 mai 2013

L'oeil, l'humilité et la patience

Il ya quelques semaines, j'ai retrouvé en rangeant mon bureau mon vieil appareil photo. On me l'avait offert il y a bien longtemps de cela, je devais avoir douze ou treize ans, par quelqu'un que j'aimais profondément, emporté depuis par la maladie. Il m'avait offert en même temps quelques disques des Beatles : Abbey Road, Sergent Pepper's, Let it be, l'album blanc... Près de vingt ans plus tard je connais ces albums sur le bout des ongles, l'appareil est toujours là.
Sans le savoir, la photographie est progressivement devenue une affaire de famille, un pan de mon adolescence. Si mon oncle ne m'avait pas offert ce petit réflex, si mon père n'avait pas eu de laboratoire de photo étant plus jeune, je n'aurais probablement pas pris goût à cette activité. Il faut croire que nos activités favorites ont un relent œdipien.
Depuis, les années ont passé, la technologie a avancé, et donc la facilité a pris le dessus. Cela faisait cinq ou six ans que je me contentais de photos plates, pratiques, sans recherche, avec un petit bridge numérique. C'est pour cela qu'un pincement au cœur m'a pris en retrouvant ce souvenir. J'ai donc décidé de recycler mes objectifs et de m'y remettre. Pour une fois que la technologie est bien conçue, il aurait été dommage de ne pas en profiter. J'ai donc trouvé un nouveau réflex numérique premier prix, exactement le même que le précédent, pour y remettre mes objectifs.
Et roule. Y a plus qu'à maintenant, silencieusement poussé par les clichés que quelques amis publient régulièrement sur Facebook. Olivier, Mathias, Laurent, Camille, par exemple.

IMAG1085

On m'a appris à réfléchir avant d'appuyer, à composer sa photo avant que de la prendre. « Une photo coûte cher, en matériel, en pellicule, en papier. Ne déclenche pas si tu n'es pas sûr de ton coup. » C'est idiot mais j'ai encore ces conseils en tête, tout en sachant pertinemment que la donne est différente. « Attends toujours, compte jusqu'à trois avant d'appuyer. Pas de piéton qui traîne ? De fil électrique inutile ? » Et je compte jusqu'à trois en surveillant ça. « Pas de photo SPLAF des dimanche en famille, l’œil est instinctif et suivra les grandes lignes. Offre un chemin au regard de celui qui regardera ton travail. Offre-lui un chemin, mais un chemin praticable. Une ligne ou deux, pas plus. Tu as moins de deux secondes pour capter ton spectateur » Autant de préceptes que le photographe de mon village m'avait donnés. « L'important n'est pas ce que tu photographies, mais l'inflexion que tu feras subir à ton sujet. Ce n'est pas le sujet qui compte, c'est la qualité de ton regard. » Joignant le geste à la parole, il m'avait fait passer l'après-midi à photographier un savon mouillé... Combien de fois suis-je reparti, découragé, furieux, vexé, quand tous mes clichés étaient impitoyablement décortiqués, bafoués, critiqués... Mais au fil des années, j'apprenais, j'assimilais. « Le matériel n'est rien. Un bon objectif suffit, le reste c'est l’œil, l'humilité, la patience, la réflexion. » Et je m'en suis détaché, j'ai appris à travailler seul. J'ai même été prof de laboratoire au club de photo de ma fac. Ca arrondissait les fins de mois, tout en me permettant d'apprendre ce qui deviendrait mon métier.
J'ai dû en oublier une bonne partie, de ces cours improvisés au comptoir du magasin de photographie mais ils sont ancrés dans l'appréhension, dans le geste. Je ne sais ce qu'est devenu le photographe en question. Le temps passant j'ai « grandi » : la fac, les concours, les déménagements, le boulot... Et j'ai remisé mon appareil, lassé des coûts de pellicule et de papier, vaincu par toutes les mauvaises raisons qui poussent à renoncer. Grandir, c'est durcir, il faut croire. Après on mûrit et on revient aux amours d'antan. La boutique est maintenant fermée, comme je l'ai constaté la semaine dernière, je ne sais ce qu'est devenu le photographe. Mais tout ce qu'il m'a appris n'est pas mort, ses conseils reviennent à ma mémoire en me baladant sur un marché, dans un château, en arpentant mon village, dans les rues de Paris... Les choses sont plus simples maintenant. Il suffit de trier, et d'effacer ce qui ne plaît pas. Le ratio de clichés acceptable est toujours aussi dérisoire. De l'ordre de trois ou quatre pour cent. C'est ridicule. J'espère juste que cette proportion augmentera, et que j'y prendrai toujours autant de plaisir.

Commence à poindre l'envie de transmettre quelque chose.
Créer un club de photographie au lycée, par exemple ?
En attendant je rouvre la section "album photos" de ce blog pour y mettre quelques images. J'attends vos critiques.

 

8 mai 2013

Participes du présent

IMAG1083

Soirée plombée tachant l'encre blanche des pages

Foreuse capitale écartelant les rails

Sterlitz ricanant des amours jaunes au passage.

 

Publicité
Publicité
6 mai 2013

Parle, mémoire

Ce matin pourrait être un tournant dans l'évolution de ce blog, dans la mesure où je me suis inscrit sur Twitter

v65oai7fxn47qv9nectx

C'est un peu compliqué encore, assez nébuleux et pour tout dire je ne sais pas si cella permettra vraiment à ce site de prendre son envol aussi allègrement que le suggère l'élégent logo qui orne ce message.
Il faut croire que cette matinée ensoleillée se place sous le signe de la mémoire. Ce thème m'obsède, me dire-vous si pour votre malheur vous fréquentez ce blog depuis quelques mois. Hier soir un ami a posté sur Facebook une vieille photo datant approximativement de cinq ou six ans de cela, et sur laquelle je suis ri-di-cule. N'allez pas scroller, je n'en ai pas fait de copier-coller. C'est vrai. A l'époque j'avais les cheveux longs derrière et absents devant. Un peu comme si une main divine avait décalé ma chevelure d'une dizaine de centimètres vers l'arrière, vous voyez. Et il faut se rendre à l'évidence, c'était laid, super laid. Alors bien sûr on pourrait argumenter que cela était une protection, un moyen de me réfugier derrière une allure faussement adolescente alors que ce radeau d'insouciance était en train de prendre l'eau de toutes parts, je peux vous raconter aussi comment j'ai décidé, il n'y a pas si longtemps, de tout raser, un soir d'été 2010, au magasin Cheap du centre ville de Perpignan, comment le fait de couper mes cheveux fut une démarche d'entrée dans la vie d'adulte... Vous vous en foutrez, mes "amis" s'en foutent à coups de "j'aime", de comparaisons assassines et de remarques onomatopéiques qui veulent tout dire en ne signifiant rien. Je ne peux leur en vouloir, tout en mesurant l'écart entre les mots et les choses.

x


En septembre je me suis barré, loin de la tramontane qui m'a vu grandir, loin du soleil illuminant cette campagne sèche, loin de la Mère Méditerrannée, pour passer à autre chose. Je ne redescends dans le Sud que pour y passer les vacances. L'autre soir, nous circulions entre amis de bar en bar, et j'étais frappé de voir comme les choses sont interchangeables. Tel bar a changé trois fois de nom entre le moment où je le fréquentais il y a près de quinze ans et maintenant; un autre qui était pourtant une institution de la ville est devenu un vulgaire boite à pizzas rances; le restaurant de sushis vend des spécialités portugaises désormais... Les lieux sont les mêmes, les murs aussi, les rues se pavent ou se dépravent. Les hommes changent, tournent, reviennent parfois aux endroits qu'ils ont fréquentés en essayant de faire comme si rien n'avait changé. Alors que le changement, manifestement, est la seule chose qui ne change pas, qui ne changera jamais. Un coup de peinture, on ravale une façade, on visse une nouvelle plaque sur la précédente et se faisant un devoir de remarquer à quel point celui d'avant avait fait "un travail de merde", et c'est reparti jusqu'à la prochaine fois. Les gens tournent, les amis deviennent des potes, puis des connaissances, parfois c'est l'inverse, à tel point que ceux que je considère comme des amis, des frères d'armes se comptent sur les doigts d'une main. La famille bouge aussi, l'inamovible lien du sang est présent mais le sang n'est qu'un liquide auquel on prête la solidité du marbre. Même le marbre se fissure au gré du travail subi: à l'éducation se mêle l'influence de l'école, des amis, des complexes liés aux mauvaises expériences, le regard que l'on porte sur soi, sur les autres, sur sa famille... La distance, les amours, le travail, le temps. L'on s'éloigne, on a de plus en plus de mal à rester quelques heures dans la même pièce, on se demande d'où vient la distance que l'on mesure à l'aune des valeurs que l'on partage. "C'est triste, quelque part", se dit-on en s'enfonçant encore plus dans ses certitudes.
La tristesse est sans solution, elle se dilue, au pire, en retournant à ses petites affaires. Restent les souvenirs, les photos, qui deviennent des images dénuées de légende. Les légendi sont inutiles, et elles sont de moins en moins présentes d'ailleurs.
Nous vivons dans une e-toile. Le passé se relie au présent sans explication parce que tout est conservé dans des disques durs, albums photos virtuels, clés usb que l'on retrouve par hasard des années après, des "dossiers" comme on dit. Je ne sais s'il faut le déplorer, en être satisfait, s'en moquer, se méfier...

Alors quelle définition faut-il se faire de la mémoire ?

2 mai 2013

Ronde des moi

En avril, ne te découvre pas d'un fil, qu'ils disent.

pelote_de_laine

 

Pourtant c'est ce que je m'efforce de faire depuis plusieurs semaines, depuis que plusieurs pans de mon monde ont été bombardés comme des abris antichars explosés comme des bombes. A l'intérieur ne restait que du mobilier laissé à nu, souillé ça et là par quelques traces de sang. De la boue, des os, une arme chargée qui n'a pas eu le temps de servir et qui n'aurait de toute façon rien pu faire face aux B52 qui continuaient à rôder avec leurs sirènes stridentes. J'ai un B52 dans le ciel de ma mémoire.

b_52_1

Une mémoire longue comme un bras et concentrée comme une clé USB, ces petits trucs ridicules qui se vendent une misère et qui pourraient sans difficulté contenir toute la littérature écrite depuis des siècles. Hugo, Proust, Stendhal en odt : 5,99 euros.

Pourtant à ne pas me découvrir d'un fil je retrouvais à mon retour cet abri douillet appelé « moi » complètement éventré, éclairé d'une lumière blafarde laissant deviner, exposé au vent mauvais, toutes ces choses que l'on aime pas voir, que l'on enferme soigneusement au fin fond d'un tiroir qu'on croit secret, qu'on ne sort pas ou si peu. Tout est à nu et le vent l'emporte. Alors je prenais un sac de fortune et je le remplissais à moitié d'affaires indispensables. Des munitions, une gamelle cabossée, des livres qui me donnent encore des raisons de tenir debout, et je repartais. Un déracinement jusqu'au prochain abri de fortune autour duquel je construisais ce dont j'avais besoin. Les grands discours revenaient. Nouveau départ, nouvelles bases, changer ceci, changer cela. Et l'extérieur de nouveau revenait tout souffler comme un fétu de paille jusqu'au prochain départ. Il est temps, à trente ans passés, près de la moitié de ma vie, que cela cesse.

images


C'est ce que je m'efforce de faire, cessant de croire que c'est l'extérieur qui me dirige. Si les choses me tombent dessus c'est que je les mérite, ou du moins que je mets tout en œuvre pour qu'elles m'atterrissent dessus. Les mauvaises choses comme les bonnes, si tant est que c/les mots aient encore un vestige de sens. Avec des coups de main je remonte l'horloge doucement, ressort par ressort pour comprendre, pour ressentir car certaines choses ne sont plus de l'ordre de la compréhension, cet autre monde que je suis devenu, et qui à quelques égards continue à avoir cinq ans. Un peu comme une marmite que l'on remet sur le feu, de grosses bulles éclatent, remontent et aspergent, au fur et à mesure que la température augmente et que je remue le limon de ce Jules. C'est bien, de toute façon on ne fait les choses que parce qu'elles nous sont bonnes, d'entrevoir l'origine de schémas et d'avoir envie d'arrêter ce qui nous fait mal. Ce n'est plus un refuge abandonné qui me sert d'abri, mais une envie naissante de coups de pioches, de chapes de béton, de fondations et de belle maison aux volets rouges. Il y a encore beaucoup de fil à découvrir avant de faire ce qui me plaît, mais ça avance, les rouillés rouages grincent dans une autre direction.

 

 

Publicité
Publicité
Publicité