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Blog de littérature
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28 avril 2013

Toiles

Cette heure-là est l'une de mes préférées. Celle où la maison est encore plongée dans le sommeil des veilles, le jour se lève timidement sur les grands arbres enveloppant la résidence laiteuse qui me sert de bunker depuis (déjà) huit mois de ma vie. Floconneuse, cotonneuse, fuligineuse... mots dont le suffixe les vide de leur sens, les recouvrant précautionneusement d'un cocon grisâtre pour désigner ces tranches de vie mal assurée, comme surprise de constater encore une consistance dans ces escarpements grisâtres. Bientôt un vent sec, coupant comme des rasoirs se lèvera pour faire frémir tout ce qui est naturel. Le construit, comme à son habitude, ne bougera pas d'un millimètre, assurant à l'homme sa part de vanité.

Se réveille la part de rituel propre, je crois, à l'être humain. Tous les gens que je connais ont, au réveil, quelques gestes qui leur est propre et qui contribue à leur épaisseur, les sort de la désarmante désindividualisation du sommeil. Ce dernier étant un stade flou entre vie et mort, on voudrait s'assurer par ces mouvements que l'on est encore là, que le sommeil n'en a pas profité pour nous emporter du mauvais côté. Les miens, quand j'ai le temps et que la mécanique « douche-habillage-petit-déjeuner-sac-voiture » ne m'emporte pas, sont assez récurrents pour que j'y vois un semblant de consistance. Les objets insignifiants doivent me rassurer, me donner du lest, car ils font partie de mon intégration au monde. C'est la petite machine à café, offerte par mes parents il y a bien longtemps ayant supporté pas moins de quatre déménagements qui vibre en premier pour en sortir l'or noir qui sera posé sur mon bureau. Selon l'impulsion, ce sera le cahier crissant ou le ronronnant ordinateur qui supporteront mes éjaculations noires, soubresauts tendant à l'épaisseur au sein d'une vie que l'on voudrait de plus en plus fluide. Une vie wifi, une vie-fi dans laquelle les quelques rares liens nous retenant au monde seraient un à un rompus. Prétendre écrire en 2013, quelle gageure.

Ces derniers temps sont un peu occupés à me demander ce que serait un bon livre, ou plutôt à savoir de quoi parlerait un bon livre. A en croire ceux qui me tombent sous la main ces derniers temps, les bons sujets ne manquent pas, les bons écrivains ne manquent pas non plus, et j'aimerais un jour être l'un d'eux, posséder ce don du polissage des phrases. Je me sens parfois comme le soldat retranché derrière ses casemates et auquel il ne manque qu'un ennemi pour en découdre. Les flingues sont chargés, tout est prêt, Reste l'invisible ennemi à abattre.

070826-Toile d'araignee-3

Manque le travail, le temps du travail et quelques liens imperceptibles dont je commence à me rendre compte et sur lesquels je m'acharne, papillon attrapé dans une toile d'araignée qui la colle. Plus elle bouge, plus elle reste collée et il faut néanmoins qu'elle puisse s'extirper de cet enfer invisible qui l'enferme dans un recoin. Pendant ce temps la Pénélope arachnéenne dévide son imperceptible linceul. Entre chrysalide et tombeau de toile animale, l'écriture est un fil, ne tient qu'à un fil que l'on enroule autour de soi pour sortir d'un enfer. Un fil qui nous sort du gouffre, ou qui sert d'échelle pour y entrer.

Mais comme toutes les cordes, elle traîne derrière elle des attaches, des liens qui nous retiennent alors qu'on ne le voudrait pas, ou au contraire des pelotes qui se dévident alors qu'on s'attendait à les voir nous bloquer. Déséquilibre d'encre, tâches noires qui s'éparpillent là où on s'y attendait le moins.

Et pas toujours là où je l'aurais voulu.

 

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3 avril 2013

Variation sur un thème de Saint-Amant

Assis sur un fagot une pipe à la main, je regardai le travail que j'avais abattu dans cette longue journée. La terre n'avait pas eu la décence d'interrompre son immuable course de telle sorte que le soleil paraissait s'enfoncer lentement dans les méandres de l'Indre, donnant à ce cours d'eau verdâtre une teinte curieusement grise malgré la lumière qui persistait à inonder la campagne tourangelle. Un lourd silence de soir d'été envahissait les alentours, si ce n'étaient le clapotis de l'eau et le bruit des petits animaux qui revenaient constatant que l'agitation avait enfin cessé. Les cigales reprenaient leur chant en dépit de l'avertissement de la fable, les crapauds et autres bestioles visqueuses faisaient de temps à autre retentir leur coassement, une abeille avait l'insolence de venir se poser sur ma main avant de disparaître, sans doute écœurée par l'odeur âcre qui devait s'échapper de ma peau. Je mesurai silencieusement ma chance de pouvoir disposer à loisir de cette petite maison de famille, qui n'avait de moulin que le nom. L'endroit est rustique : isolé dans la campagne, à des kilomètres du premier village, sans électricité, sans eau courante, sans réseau téléphonique, c'était la cambrousse, le cauchemar du citadin que j'étais devenu avec les années. Mais je m'en foutais, et quelques fois par an je laissais tout pour charger ma voiture de provisions et venir ici passer une semaine seul avec moi-même. Sans portable, sans affaires de travail, sans ordinateur, sans rien. Juste moi-même, la meilleure compagnie que je puisse avoir au monde, la seule personne assez fidèle pour rester avec moi de ma naissance jusqu'à mon dernier souffle. Mes grand-parents avaient acquis cet endroit, qui est revenu à ma famille paternelle, puis à nous, les héritiers se succédant. Et manifestement je devais être le seul à encore fréquenter et entretenir cet îlot suspendu au-dessus de la rivière, auquel on n'accédait que par un fragile petit pont. De quoi décourager la plus aventurière des mères de famille, qui craignaient mille morts pour leur fragile enfant. Je ne pouvais leur donner tort, assurément : entre cette passerelle qui menaçait de s'effondrer, la rivière qui eût emporté et noyé un bambin en quelques secondes, les sauvages animaux qui devaient rôder autour (« j'ai même aperçu un sanglier, une fois »), l'absence d'électricité et d'eau chaude et sans connexion Internet pour jouer à Angry Birds, il aurait été déraisonnable d'amener un enfant ici, vraiment. Et à force d'arguments, j'avais gardé mon coin. Le mobilier, réduit au minimum, conservait une foule de souvenirs auxquels je me raccrochai silencieusement en entrant : quelques photos, une tasse ébréchée que j'avais gardée depuis l'université, les livres qui avaient changé ma vision du monde et dont je ne voulais pas me séparer. L'étroitesse de l'endroit m'avait obligé à sélectionner par le cœur les bibelots que je voulais emporter avec moi au cœur de ce caveau humide.

Sache_le_Moulin_Rouge

Il me restait encore trois jours de tranquillité avant de rejoindre le cours de ma vie de sinistre banlieusard terne. Par conséquent je profitai de la lenteur des jours qui s'écoulaient avec indifférence. Je pensai à l'inflexion que j'avais donnée à ma vie, aux choix que j'avais faits, aux erreurs et aux fardeaux dont je n'avais su me défaire. Prendre du recul et travailler comme un Romain à élaguer le jardinet, remettre en place tel ou tel muret, couper des fagots de bois... me permettait, le soir assis silencieusement, de repenser à tout cela. Tout cloisonner pour ne pas me perdre. C'était le seul moyen que j'avais trouvé pour trouver une stabilité. Le travail, les amours, les loisirs, l'écriture... Je faisais mon possible pour que ces univers ne se touchent pas, restent distincts les uns des autres. Les mélanger m'aurait conduit à les diluer et à m'y perdre en voulant que ce mélange reste stable. Exactement comme le Titanic, qui avait un nombre de ballasts étanches les uns par rapport aux autres. Si l'un prenait l'eau, les autres étaient encore là pour assurer la flottaison de l'ensemble le temps de colmater la fuite. La probabilité pour que tous soient éventrés en même temps étant assez faible, je compte sur ma capacité à entretenir chacun d'eux. Venir ici à Saché, m'autorise à revenir sur les quelques mois que j'avais passés avec moi pour savoir ce que j'en pensais. J'y prends aussi la mesure du temps qui passe inexorablement, le temps qui commence à creuser quelques rides, qui laisse entrevoir de plus en plus de cheveux blancs, qui m'oblige à faire des pauses plus appuyées, à prendre plus de temps à me remettre d'une longue soirée, qui bientôt fera faiblir mes forces. Bientôt, malgré la colère des hommes qui refusent de voir ces imperceptibles marques lézardant le marbre de leurs certitudes. Constatant que je suis mortel et que vite mes yeux se fermeront à jamais, je m'empresse de revenir aux choses éternelles. Le soleil, le cours de l'eau dans laquelle on ne se baigne jamais deux fois, les étoiles pourtant éteintes depuis bien longtemps et dont les yeux morts nous contemplent avec ce que nous appelons avec folie de la bienveillance, la mer qui n'aura jamais fini de faire résonner les galets le long des plages, les enfants qui deviennent grands, s'emplissant de la même amertume cynique que jadis leurs parents et leurs grands-parents. Ces choses ne changent pas, moi je vieillis et essaie de prendre conscience de ces choses éternelles qu'il me faut accepter puisque je ne peux pas les combattre. Aussi majestueux fût-il, même le Titanic a coulé, tout cela n'a aucun sens. Alors en acceptant ce destin qui ne me rend pas plus exceptionnel et clairvoyant qu'un autre, je reviens de temps en temps sur mon île de famille et je coupe du bois, je répare comme je peux les petites attaques du temps pour que mes descendants y trouvent un endroit agréable pour ressasser les mêmes pensées que les miennes. J'y trouve aussi, l'espace d'une semaine, l'illusion que les choses peuvent être maîtrisées. Tout cela rejoint ce qui s'échappe du tuyau de cette pipe conservée depuis bien longtemps : elle n'est que fumée, et notre vie n'est que du vent.

 

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