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24 mars 2013

L'ennui

 

L'ennui.
Un mot terrible que celui-ci, terrible et ambivalent, tant il fait appel à des réseaux d'images. L'ennui est ce que l'on redoute et ce que l'on recherche à la fois. Combien de fois avons-nous aspiré, pris dans la tourmente du travail et des interminables choses à « faire », à avoir le temps de s'ennuyer ?
Ce temps, en fait, on ne l'a jamais, il est toujours comblé par une activité pour oublier de réfléchir à soi.
Longtemps je me suis imaginé le paradoxe de l'écrivain. Un départ amusant de roman, presque. La figure du prisonnier rejoint pour moi celle de l'écrivain, reclus qu'il est dans une immobilité forcée. A la fois rebut et objet de débat de la part du monde qui va sans lui. Julien en prison, tourmenté par Mathilde et Madame de Rénal, ou Fabrice del Dongo dans sa tour Farnèse conversant silencieusement par la fenêtre avec la belle Clélia.
Ne serait-ce qu'aujourd'hui, je pourrais faire plein de trucs, autant de choses à accomplir, ou à continuer. Le piano m'attend, la clarinette est sagement rangée dans sa mallette, les livres que je m'étais promis de finir dans le week-end n'ont guère avancé, la terrasse doit finir d'être nettoyée, la moto d'être remise en route, les cours de la semaine d'être peaufinés, les Inactuels sont toujours en cale sèche... Mais rien, je m'en fous, tout ça peut attendre. Et c'est péniblement que j'allumai mon ordi.

 rien_ne_peut_combattre_le_temps

 

En fait l'écriture a une fonction d'ameublement temporel. Ikea escritura, on écrit parce que l'on a des pièces de temps à remplir, un ordre qui doit se superposer au bazar de nos pensées dérivant dans des directions nébuleuses que l'on n'ose pas prendre. On n'écrit pas pour s'accomplir ou pour répondre, le « bon qu'à ça » de Beckett, tout ça c'est des conneries. On écrit par lâcheté. Faire joli, enguirlander les gens et les situations insupportables à démêler dans la vie quotidienne. C'est plus simple de dire « ta gueule » à sa mère dans un roman que d'oser lui dire merde devant la bûche de Noël après tout. Elle ne répondra pas. En écrivant on maîtrise, on a un clavier infini et personne pour nous dire que telle interprétation est la bonne. Ca me rappelle mon ancien prof de piano qui rêvait d'un clavier circulaire, sans limite, je l'ai trouvée très belle cette image de l'interprète enfermé dans son instrument. La liberté absolue. Finalement, ça revient au même, on s'ennuie quand on est libre, parce qu'on aime pas voir la sale gueule que l'on a. S'ennuie celui qui se répugne : in odio sum, littéralement je suis odieux à moi-même, pour moi-même tant je ne vois dans ces moments-là que les verres à moitié plein que je ne cesse de plaindre.

 Longtemps que je n'avais ressenti cette impression de ne rien avoir envie de faire, et je déteste ça, sans doute est-ce à cause du fait que je me suis chargé d'activités, de choses à accomplir, de promesses, de défis personnels. Et l'homme étant par nature un tonneau des Danaïdes, nul doute que je ressentirai vite d'autres envies qui iront dans je ne sais quelles directions. Le violoncelle ? La photo ? Mais là, rien. Je suis en nuit, tant je n'arrive pas à me projeter dans une activité. Tout est question de motivation, de méthode Coué. « Allez, écris cet article, ça te lancera », et ça va marcher, sans doute. Sans doute sera t-il déséquilibré, mal foutu, baroque à certains égards, barocailleux si j'ose dire, à en mettre le bourdon aux âmes charitables qui le fréquentent.
Ca va déjà mieux, d'ailleurs, comme quoi.

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12 mars 2013

Du cheveu blanc

Mes cheveux et moi avons toujours entretenu des rapports complexes. Comme les plus grandes histoires d'amour, les sentiments ont toujours oscillé entre la haine et l'adoration ; et comme il se doit les conseils avisés de divers amis m'ont permis de m'affranchir de certaines étapes difficiles. Plus jeunes, je les avais longs, en dépit des moqueries de mes camarades et néanmoins proches dont les avertissements, du plus sensé (« attention, à ne pas les couper tu les perdras prématurément », comme disait Jerem) au plus caustique (« tiens, les cheveux que tu avais devant, tu les as collés derrière ? », me demanda Yannick »).
Bref. J'adore mes amis.
Ce qui est sûr, avec le recul, c'est qu'ils m'ont servi de protection symbolique, de rempart adolescent contre la vie d'homme qui se profilait. Ce n'est pas pour rien si je les ai définitivement fait raser (ce fut au magasin « Cheap » de Perpignan, de glorieuse mémoire, pour 29 euros) l'été qui précéda ma première année en tant que vrai enseignant. Et depuis, plus de cheveux, ou quelques millimètres réglementaires, avec une petite barbe de trois jours, ou trois semaines selon la disponibilité de mon rasoir. Après tout, c'est pratique, économique, je n'ai plus chaud l'été sous mes tropiques du Sud.

 

Et ce matin, en me rasant pour la première fois depuis une quinzaine de jours, je L'ai aperçu, ce salopard. Insidieusement niché au dessus de mon oreille gauche. Assez discret pour qu'on ne le remarque pas immédiatement, mais suffisamment pervers pour que je ne voie plus que lui. Le premier cheveu blanc que je remarquai de moi-même, pour de vrai. On me l'avais déjà dit, par ailleurs : « ah tiens, un cheveu blanc, pour une fois que tu en as, hein, c'est ballot ! », et autres joyeusetés qui me font rire, car rire de soi est l'une des plus importantes choses à faire, je crois.
Mais là, celui-là, il m'a marqué. Comme quoi certaines journées peuvent être porteuses de sens. Ca ne tient qu'à un cheveu, défois. Toute une suite d'images sont venus se télescoper. La rassurante litanie qui susurre que « les cheveux poivre et sel, c'est sexy », tout d'abord. Ce à quoi je répliquerais volontiers que celles qui disent ça devraient plutôt réfléchir à leur rapport avec Pôpa avant d’ânonner des inepties pareilles, et que les hommes qui se plient à de tels diktats sont ridicules : la maturité, c'est dans la tête, pas dessus. Oui, restons nuancés. Les cheveux poivre et sel, ça rend con, c'est comme le Nespresso.

george_clooney

 

Puis m'est revenue une photo que j'avais oubliée et vue la semaine dernière, une photo de moi tout bébé, et qui m'a laissé pensif. Ca fait bizarre, de tomber sur une photo de soi tout petit car j'ai eu l'impression que ce petit garçon tout mignon, c'était pas moi. Ca me rappelle une magnifique page de Nabokov, qui commente un film tourné quelques mois avant sa naissance et où il dit avoir été horrifié par la vue de son futur berceau, vide, et qu'il compare à un cercueil. C'est dans les premières pages de Speak Memory, je crois. Entre ce bébé et le futur vieil homme que je deviendrai vite, très vite, est ce cheveu blanc qui me rappelle une fois de plus, et ô combien dans ces périodes charnières, que les choses passent très vite, changent tout le temps, très vite et que vouloir leur donner une forme arrêtée est insensé. D'ailleurs, nous vivons dans un monde qui ne s'arrête pas, qui encourage avec de plus en plus de facilité le changement, le déplacement, la mouvance. Je lisais tout à l'heure Mamdame de Sévigné (pas pour le plaisir, hein, PERSONNE ne lit Madame de Sévigné pour le plaisir !) qui conseillait à sa fille: "ne suivez point mon exemple, ni celui du monde qui suit le temps et change comme lui. Soyez constante". Comme quoi, c'était déjà le cas, au moins en 1671. Bien sûr, c'est rassurant de de vouloir "être constant", se définir. Mais cela est vain : j'aimais telle chose, ce n'est plus le cas ; j'avais un nom que je ne porterai peut-être plus ; j'étais blond, avant et j'avais des cheveux, avant. Quand je vois des personnes, parfois très proches, qui par peur du changement restent figés dans leurs fonctionnements, j'éprouve le même sentiment que Vladimir à la vue de son berceau. C'est la mort qui nous rendra tous d'accord, d'ici là rien ne garde une forme constante et arrêtée, et tant mieux.

 

Et ce cheveu blanc, je le garde, et j'en suis fier.

 

 

10 mars 2013

Le complexe de la poulie

La poulie, c'est comme les vases communicants. Le principe est le même: on tire d'un côté, et une poussée est effectuée de l'autre. Certainement l'un des outils les plus métaphoriques qui soient. Action, réaction, avec un système complexe d'anti-retour, de supression d'efforts, de contrepoids. Soulever un énorme poids que nos faibles forces nous rendraient incapables de tracter, de traire, grâce à une simple machinerie. Un geste simple en apparence, avec des conséquences énormes. Action-réaction.

13749080_rahate__39__une_poulie_utilisee_pour_puiser_de_l_39_eau_d_39_un_puits_d_39_une_maniere_traditionnell

Je me plais souvent à nous figurer comme un système mécanique. Nous ne serions finalement qu'un système de poulies, d'engrenages, de cordes tendues à se rompre côtoyant certaines poussièreuses et fragilisées de ne jamais avoir été sollicitées, le tout agencé selon un ordonnancement à la fois parfait et terrifiant. Une mauvaise nouvelle nous fait mal au ventre, des mots qui ne sortent pas deviennent des maux de gorge. Qui n'a jamais connu cela ? C'est flippant, en somme, de n'être réduit qu'à une interaction entre ce que nous croyons éprouver et les symptômes de cet hôte corporel qui se dégrade de jour en jour jusqu'à notre dernier souffle. Flippant, et aussi déculpabilisant. de la même manière que les métaux tordus gardent ce qu'on appelle une mémoire, nous conservons des traces de nos utilisations. Les schémas que nous avons vu faire étant petits, nous les reproduisons jusqu'à l'absurde. Les plus féroces tortionnaires ont souvent été les plus fragiles victimes. C'est absurde, comme cette vie. Le bon sens nous apprendrait à ne pas faire subir aux autres -- et à soi -- ce dont on a si cruellement souffert, et pourtant nous reproduisons. Nous sommes des reproducteurs, pour le meilleur et pour le pire. Fils de lâche, nous le devenons. Trop facile: ce n'est pas moi qui agis, je suis agi par papamaman, par bobonne, par la maladie, par le méchant patron, par mon enfance, par mon addiction au shit, par la bouteille, par ce que je ne serai jamais (rayer les mentions inutiles). Descendre de la scène pour se lover dans un confortable fauteuil et assister à cette pièce pleine de bruit et de fureur. Trop facile.

Peut-être est-ce cela, le travail d'une vie. Lutter contre tous ces traumatismes qui n'en sont pas, bien souvent, afin de redonner à notre existence une virginité trop vite perdue. Et tout l'amour dont nous ont bercé nos parents n'y change rien. Sans le vouloir ils ont mal fait. Et sans le vouloir nous faisons ou ferons mal, c'est l'une des poulies de ce théâtre. Heureux ceux qui arrivent à s'accomoder de ces cordes trop tendues, arrimées si solidement que même bancale, même amputée d'une partie de sa souplesse, la machine continue de tourner, comme ces animaux blessés qui ont su s'adapter à leur handicap. Je les admire, ces gens-là. Ils font sûrement le mal sans le savoir ni le vouloir mais ils ne souffrent pas, ou pas directement, de ces tuteurs plantés trop profondément. La plante s'est si bien enroulée autour du tuteur qu'elle s'est intégrée à lui, qu'elle a fait entrer l'intrus dans sa constitution même. Une mauvaise éducation. Ôter celui-ci c'est tuer celle-là.
En ce moment j'ai l'impression de m'apprêter à entrer dans le grand colosse de bois et de cordes qui me constitue avec une hache à la main. Couper les cordes trop tendues, inutiles, trop lourdes, qui ne m'appartiennent pas. A l'instar des dessins animés, couper ce lien fera sûrement des sifflements aigus, valser des planches, s'écrouler des échafaudages, faire du fracas. Tempête sous un crâne, ouragan dans un corps. Car pour des raisons que je subodore je fabrique des choses qui ne sont pas moi, qui ne sont pas dignes de moi. J'en souffre, je reproduis des schémas, j'en ai assez, cela doit cesser. Stop. On rembobine et quoi que cela coûte il faut aller au-delà pour comprendre. Comme vous je mourrai demain et la vie est trop courte pour faire systématiquement les mêmes coloriages. Mon cynisme me fait trop souvent voir de ces gens enfermés dans leur modèle. Modèle de séducteur, modèle de lâche, de bêcheuse, d'intello, de grand enfant... Des costumes, des programmations. Une paresse naturelle, une peur naturelle m'enfermerait dans ce mol oreiller, mais non.
Il faut en finir.
Que vogue la galère, on verra bien ce que cela finit par donner.

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