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17 février 2013

Incident voyageur sur la ligne Tours-Paris

 

La mare était bien calme, ce matin. La journée commençait, une froide matinée de février, brumeuse et paisible. Tout ce petit monde s'affairait avec le bourdonnement habituel que tout promeneur attentif peut percevoir dans ses déambulations. Les poissons bullaient, en témoignaient d'imperceptibles cercles se formant à la surface, la vase étendait patiemment son empire, conquête silencieuse entreprise depuis quelques mois déjà à la faveur d'une chaleur estivale étouffante. Les crapauds quoissaient des lieux communs sur le temps qu'il faisait, sur l'hiver qui n'en finissait pas et ces promeneurs tellement irrespectueux envers le grand âge de ces seniors des marais. « Il y a encore vingt ans de cela, disaient-ils à leurs interlocuteurs qui ne les écoutaient d'ailleurs pas, il n'y avait pas de terrain à grande viabilité, et nous ne nous en portions pas plus mal ». En effet, les animaux, fussent-ils reptiles ou mammifères, semblent davantage tournés vers la chancelante assurance d'un naguère reluisant dont les inconvénients ont été gommés par Mnémosyne, que vers le futur prometteur d'arthrose ou de mauvaises nouvelles. Quelques nénuphars s'ébattaient par ci, par là, étendant voluptueusement leur feuille au gré du zéphyr qui leur susurre des cochonneries. Envieusement admirés des fougères, elles se laissent bourdonner des invitations d'un air faussement choqué. Le monde va, en somme, dans le microcosme de notre mare.

medium_etang

 

Lorsqu'un caillou propulsé par une volonté inconnue vint percer la quiétude. Il alla s'écraser contre la surface terne de l'étang et, soumis à la gravité, s'enfonça lentement dans la profondeur de la vase. Un murmure scandalisé parcourut l'ensemble de la faune floresque. Les bébés poissons, inquiets, se réfugièrent sous les rassurantes nageoires de leur mère tandis que les papas s'affairaient, à chaque extrémité de la mare, de rassurer les plus téméraires par des contes. Même s'ils faisaient les fiers-à-branchies, ils n'en étaient pas moins outrés du danger que ce caillou incongru venait de faire courir à l'ensemble de la communauté. Les nénuphars maintenaient comme elles le pouvaient une certaine élégance au milieu de ce remous régulier qui avait éparpillé au loin les entreprenantes libellules. Peu à peu elles y parvinrent, sous les moqueries des roseaux qui n'avaient, évidemment, pas rompu. Les animaux étaient en colère et commentaient avec cruauté le manque de politesse de ces cailloux qui viennent choir si improprement au fond de leur royaume. C'était d'ailleurs fort justifié. Un caillou, était-ce bien un caillou ? Pourquoi ne pas l'avoir fait ailleurs, après tout. Le lac n'est qu'à quelques encablures d'ici, un gravillon dans cette étendue n'aurait été qu'une goutte d'eau dans la mer. Cela montre bien le mépris, oui madame, le mépris que l'on peut avoir en ces temps dits modernes pour la tranquillité d'autrui. La madame en question approuvait d'un œil sévère tout en contemplant le désastre. Cela retarderait l'avancée de la journée, perturberait la parade nuptiale des grenouilles, ferait manquer le baptême de la petite dernière mouchette, la famille étant déjà endimanchée. Les poissons étaient toujours effrayés et commençaient à pleurer des larmes invisibles pour nous profanes, mais ô combien déchirants pour leur mère. Le crapaud coausait toujours, répandant ses insanités sur la jeunesse caillouteuse. Les vieux crapauds aiment à donner de bons conseils, sans doute pour se consoler d'avoir été jadis de mauvais exemples.
La matinée s'étira paresseusement, ainsi. Peu à peu, les heures allant, la rumeur de la mare s'atténua et revint à son calme initial. Les libellules avaient repris leur tragique ballet dans l'espoir d'une impossible union avec les nénuphars, qui se gardaient bien de le leur dire, bien entendu. La famille Mouche avait pu s'arranger pour sa cérémonie. La vase reprenait ses droits, allait épandre à nouveau sa valse vers le centre du marais.

 

Restait le caillou, qui avait fini par atterrir au fond, et qui y resterait immobile et vite oublié, jusqu'à la fin des temps.

 

 

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