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23 octobre 2009

Perceval et Fabio

Notre vocation est, on ne le dira jamais assez, de transmettre à ces jeunes de la culture. De la grammaire, de la conjugaison, de l'orthographe, d'accord, mais tout cela est subordonné à la transmission d'un fond littéraire, et artistique, commun qui doit absolument être préservé. C'est à l'école que le jeune adolescent de 2009 sera le plus facilement en contact avec la littérature. Comme le disait une collègue: "Baudelaire, c'est now".
C'est donc avec cette dimension de passeur que je franchis chaque jour les portes du collège et que je m'efforce le plus possible de parler aux élèves de livres, même si ça m'oblige parfois à suspendre mon cours de grammaire pendant un moment. C'est aussi dans cet esprit que je donne en récitation des taxtes qui me semblent particulièrement beaux. A mes cinquièmes, a été donné récemment le sublime passage du sang sur la neige, extrait du Perceval et le Conte du Graal de l'inimitable Chrétien:

L’oie était blessée au col.

Elle saigna trois gouttes de sang,

qui se répandirent sur le blanc.

On eût dit une couleur naturelle.

Le temps qu’il y soit parvenu,

elle s’était déjà envolée.

Quand Perceval vit la neige qui était foulée,

là où s’était couchée l’oie,

et le sang qui apparaissait autour,

il s’appuya sur sa lance

pour regarder cette semblance.

Car le sang et la neige ensemble

sont à la ressemblance de la couleur fraîche

qui est au visage de son amie.

Tout à cette pensée, il s’en oublie lui-même.

Pareille était sur son visage

cette touche de vermeil, disposée sur le blanc,

à ce qu’étaient ces trois gouttes de sang,

apparues sur la neige blanche.

Il n’était plus que regard.

Il lui apparaissait, tant il y prenait plaisir,

que ce qu’il voyait, c’était la couleur toute nouvelle

du visage de son amie, si belle.

Je reconnais: l'extrait était difficile. Difficile et long, aussi long que le temps qu'ils avaient pour l'apprendre. Et c'est ainsi que j'ai interrogé notre ami Fabio hier. Il est venu sur l'estrade, tout fier, avecses lunettes et son cahier dégueulasse. Après quelques hésitations dues à un trac bien légitime (c'est dur de déclamer su Chrétien, plus de huit siècles nous contemplent !):

"L'oie était blessée au col,
Elle saigna...euh...trois gouttes de sang
Qui...euh...s'étalèrent sur le blanc
..."

"Bon, Fabio, tu l'as apprise, ta poésie ?
- Euh, non m'sieur.
- Bon, tu en paieras le prix. A ta place."

Ca n'a pas eu plus l'air que ça de le gêner, le Fabio. Notre jeune nice retrouva son sourire béat et retourna à sa place.
C'est dur, défois.

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Commentaires
K
Cet extrait, quoique beau, me rappelle un bien mauvais souvenir. C'est à propos du commentaire de ce passage que ma *** de tutrice m'a dit que je ne savais pas faire une explication de texte. A ses yeux, Perceval contemplant le sang sur la neige, c'est l'image du lecteur face au signe... Pour ma part, non seulement je n'adhère pas à cette théorie, mais en plus, quand bien même... est-elle compréhensible pour des gamins de 5e??? Là, je doute...<br /> Bref, ce jour-là, je lui montrais le cours que j'avais préparé et il paraît que c'était de la paraphrase et que je ne savais pas faire une explication de texte. Qu'il fallait que je lise Michel Foucault, qui a écrit, paraît-il, une belle théorie sur l'usage de la métaphore au Moyen Age.
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